L’hiver vient, et avec lui, non pas les marcheurs blancs mais les blackouts. La production d’électricité s’annonce compliquée, les causes sont complexes mais la conjoncture entre la maintenance de plusieurs centrales nucléaires reportée depuis le covid et la pénurie de gaz avec la guerre en Ukraine nous pousse à envisager d’éventuelles coupures d’électricité cet hiver. La solution ? La sobriété en col roulé !
Le gouvernement, se vêtant de cols roulés en guise d’exemplarité, nous demande de revoir à la baisse notre chauffage et de s’habiller plus chaudement. Il nous est demandé un ajustement dans l’usage de notre machine à laver le linge, et la sobriété devient alors synonyme de “baisser, éteindre, décaler”. Comble de la drôlerie, le député Gilles Legendre nous annonce, la bouche en coeur, qu’il ne se sert désormais plus du sèche-linge au profit de l’étendoir[1]…
Je me demande donc, la sobriété c’est quoi en fait ? Est-ce juste une liste de petits éco-gestes à surajouter à notre quotidien, alors que certains se déplacent encore en jet privé, alors que nous sommes encore ivres de notre confort moderne ?
Un petit ajustement çà et là
Pour notre gouvernement, la sobriété énergétique, cela ressemble à l’ajout de quelques petits principes à notre quotidien. L’idée n’est pas tellement de consommer ou produire autrement mais plutôt de le faire plus efficacement[2]. La sobriété est finalement moins une affaire de renoncement qu’une adaptation forcée. Soit je baisse mon chauffage à 19°C, soit je subis les effets des coupures de courant en plein hiver.
Il me semble que l’on est très loin du compte. Il semblerait que nous ayons l’ambition de soigner notre diarrhée en nettoyant les toilettes. Pourtant, pour ce genre d’inconvénients, rien ne vaut un bon coup de SMECTA.
La richesse chrétienne
La sobriété authentique devrait être envisagée comme un renoncement, un renoncement au désir de posséder. C’est d’ailleurs moins la richesse possédée qui est dangereuse – et elle l’est – que la richesse recherchée. D’abord elle est enviable, rien de bien méchant, puis doucement devient vénérable. Mon objectif, c’est d’être propriétaire de ma maison, et je ne serai satisfait que lorsque dans mon garage, se trouvera la nouvelle Mercedes. Franchement, à 30 ans tu n’as pas de Rolex ? La richesse se convoite, devient ce par quoi l’on se définit, et la posséder devient source de gloriole.
La Bible quant à elle, nous dit que ce qui est désirable n’est pas l’objet de gloire mais son renoncement volontaire au profit du bien commun.
“Et que chacun regarde, non ses propres qualités, mais celles des autres. Tendez à vivre ainsi entre vous, car c’est ce qui convient quand on est uni à Jésus-Christ. Lui qui était de condition divine, ne chercha pas à profiter de l’égalité avec Dieu, mais il s’est dépouillé lui-même, et il a pris la condition d’un serviteur en se rendant semblable aux hommes : se trouvant ainsi reconnu à son aspect, comme un simple homme, il s’abaissa lui-même en devenant obéissant, jusqu’à subir la mort, oui, la mort sur la croix. C’est pourquoi Dieu l’a élevé à la plus haute place et il lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom.”[3]
Baisser le chauffage c’est bien, mais c’est insignifiant (1,7 GW d’économie sur une demande pouvant atteindre 90 GW[4]). Sans le mouvement entier d’une reconsidération de notre rapport à la richesse, et bien plus, de notre rapport au désir de richesse, j’ai bien peur que ces petits gestes ne soient que pansements sur fracture ouverte. Tant que l’accumulation dictera notre conduite, tant que l’on parlera d’efficacité plutôt que de conversion, nous serons condamnés à ne pas voir les limites dans lesquelles le créateur nous a placés. Elles finiront par s’imposer à nous, en nous rappelant notre place.
Or, là où richesse est un don, elle est source de reconnaissance. Pour les chrétiens, elle est source de reconnaissance de la créature envers son créateur. Don reçu de l’amour du Père, qui n’est donc pas un dû. Elle n’a pas la capacité de répondre à nos aspirations. C’est le donateur qui est admirable et non le don coupé de sa source. En excluant Dieu de notre vision du monde, nous excluons celui qui est l’objet de la gratitude et de la plénitude, que nous recherchons désormais dans le monde matériel déifié.
Le mal pris à la racine
Maintenant, seuls face aux non-limites temporaires permises par l’entreprise technologique, et ivres du pouvoir qu’elle nous confère, on cherche un peu partout ce que l’on n’a pas, on se gorge de plaisir et de confort et de jouissance pour se gonfler d’existence, mais on perd par la même occasion la simplicité qui permet de vivre chaque instant en étant pleinement libéré de la soif de plus. Nous sommes errants sans moyen de nous satisfaire, mais alors que faire ?
A l’opposé des petits gestes individuels, c’est par les structures nous dit-on que l’on trouvera la solution. C’est le social et l’économie qui portera notre Salut. Certes, “on répond aux problèmes sociaux par des réseaux communautaires, non par la simple somme des biens individuels”[5], mais c’est oublier bien vite que “l’homme peut bien être aliéné par des structures et par des groupes de pression, mais, en définitive, il est aliéné par lui-même”[6].
“Or, une telle question est le type même de l’interrogation inopportune car elle se situe, à son tour, dans les perspectives technicistes et utilitaires qui ont motivé le diagnostic inquiétant auquel on est parvenu. La question Que faire ?, loin de témoigner d’une profonde prise de conscience, ne vient qu’ajouter aux problèmes dont elle voudrait trouver la solution. Mais pourtant, insistera-t-on, il doit bien y avoir quelque chose à faire ! […] Car il ne s’agit pas de faire mais d’être et cela n’a pas de sens que de se demander : Que faire pour être ? Pour être là où aucun voyage dans le temps et dans l’espace ne peut conduire, pour découvrir la sortie conduisant en dehors des remparts à l’intérieur desquels l’homme individuel et collectif construit des Tours de Babel sans cesse plus élevées d’où il ne verra jamais verticalement plus haut mais seulement horizontalement plus loin.” [7]
Notre espoir, ce n’est pas de s’élever à Dieu par quelconque opération, mais que Dieu lui-même descende parmi nous – et il l’a fait – scellant ainsi sa promesse écologique d’une restauration. La sobriété, c’est arrêter net cet activisme qui donne à l’Homme ou à l’entreprise politique le rôle de démiurge d’où nous attendons le secours. Non, ni les cols roulés, ni la politique ne nous sauveront du malheur de l’existence.
“Arrêtez, et sachez que je suis Dieu: Je domine sur les nations, je domine sur la terre.”[8]
Elie Cobo, 2022
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Notes
- “Moi, ça y est, chez moi, ma femme et moi, on a décrété : on ne se sert plus du sèche-linge. Honnêtement, ce n’est pas très compliqué à faire”, a déclaré Gilles Legendre sur franceinfo le mercredi 28/09/2022.
- Pour une plus juste appréciation du discours présidentiel se référer à la présentation du plan de sobriété énergétique du 06/10/2022 : https://www.youtube.com/watch?v=SGA2jFzKbxg
- Lettre de l’apôtre Paul au Philippiens chapitre 2 versets 4-9
- Pour les chiffres concernant un potentiel blackout en hiver : https://www.youtube.com/watch?v=Ut6kjMs29gE
- Laudato Si’: Sur le soin de la maison commune, Pape François
- Les vagabonds de l’occident : l’expérience du voyage et la prison du moi, Jean Brun
- Idem.
- Psaumes chapitre 46 verset 10