Nos sociétés, notre actualité et la scène politique occidentale sont aujourd’hui le terrain d’un affrontement entre deux courants idéologiques majeurs.
Multiculturalisme et nationalisme
D’un côté, nous avons l’idéal multiculturel, le projet d’une société où toutes les identités et cultures se mélangent et se fondent les unes dans les autres, dans une joyeuse tolérance. De l’autre côté, nous voyons réapparaître des courants fortement identitaires, parfois nationalistes, avec des risques de racisme, de haine et de violence. Aux États-Unis, c’est le phénomène Donald Trump, concentré dans le slogan «make America great again», porté par des classes populaires défavorisées et insécurisées. En face de lui, le monde des médias et des artistes, la majorité de ceux qui ont un diplôme universitaires, les citoyens «ouverts sur le monde». Le meilleur exemple de la position inverse est peut-être Justin Trudeau, premier ministre canadien, qui considère que le Canada n’a pas d’identité spécifique, et le voit comme le premier État post-national[1]. En France, ce sera plutôt l’opposition entre un Emmanuel Macron internationaliste et une Marine le Pen identitaire. Il y a dix ans le multiculturalisme semblait mener la course, mais avec le Brexit et les gouvernements à tendances nationalistes en Pologne, en Hongrie ou maintenant en Autriche, le combat est engagé, et l’on peut sérieusement se demander qui va l’emporter.
Besoins d’unité et d’identité
Il est temps maintenant de prendre du recul sur ces deux grands courants, et de comprendre quels besoins humains ils manifestent. Le rêve multiculturel découle d’un désir d’unité et d’harmonie dans l’humanité. On a conscience de tous faire partie d’un tout. L’humanité est divisée par toutes sortes de fractures et de tensions, et celles-ci ont causé leur lot de guerres, de souffrances et d’atrocités. Il y a une aspiration à dépasser ces fractures, à apaiser ces tensions et à trouver une unité et une paix mutuelle.
Le courant de pensée dominant, proposé par les médias et les intellectuels pour répondre à ce désir est une forme de relativisme mettant l’accent sur la tolérance. Les identités et les convictions diverses sont relativisées, considérées comme de peu d’importance et de valeur égale. Le plus important est la tolérance, comprise comme le fait de ne pas mettre en cause les convictions des autres, dans le but d’éviter les tensions. Souvent, dans ce courant de pensée, être quelqu’un de tolérant et d’ouvert devient plus important que tout le reste de ce qu’on peut être ou penser.
Ce relativisme a deux talons d’Achille qui le condamnent à l’échec. D’une part, le relativisme n’est pas équipé pour faire face à des convictions qui renient tout son idéal, et cela se révèle face à l’islam radical. Le relativisme doit défendre l’égale valeur de la conviction islamiste, tandis que celle-ci vomit la tolérance relativiste à l’occidentale. Ou alors, le courant relativiste doit écraser cette conviction qui s’oppose à lui, mais il se contredit lui-même en renonçant à la tolérance qui le définit. D’autre part, le relativisme tend à diluer voire dissoudre les identités. Mais il semble que l’être humain ait aussi besoin d’une identité définie sur laquelle s’appuyer, de convictions fermes qui valent la peine d’être défendues. Le retour de réflexes identitaires démontre de fait à quel point le relativisme échoue à répondre à ces besoins humains. Loin de moi de justifier le racisme ou la haine de l’autre, mais le besoin d’identité et d’ancrage dans le passé est présent dans le cœur de l’homme, et le nier conduit à des contre-réactions. Il y a des éléments excessifs et malsains dans ces réactions, mais aussi une base qu’il faut comprendre et reconnaître.
Bien sûr, autant un fort relativisme conduit à renoncer à une identité définie, autant la réaffirmation des identités nationales, ethniques ou culturelles met à mal le rêve d’une humanité unifié. Mais alors comment répondre à ces deux aspirations?
Le projet biblique
En bref, il faut une unité qui ne soit pas le déni de toute identité, mais le fruit d’une identité commune qui dépasse les spécificités. La faiblesse du relativisme, c’est de proposer un nivellement par le bas, une unité qui gomme tout sentiment d’appartenance. En face de cela, le projet chrétien, le plan de Dieu manifesté en Jésus-Christ, c’est de réunir toute l’humanité dans une nouvelle identité. La Bible voit l’aboutissement de l’humanité dans «une foule immense […] de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue.[2]». Dieu est en train de rassembler un peuple issu de toutes les nations et de toutes les cultures. Ce peuple est rassemblé par une identité commune très forte : c’est celle d’être sauvés par la mort de Jésus-Christ, d’avoir Jésus comme Seigneur et de vivre selon son exemple. Ce projet demande de renoncer au rêve du « ni Dieu ni maître », et de reconnaître l’autorité du Dieu créateur et de Jésus. Ce peuple de Dieu, ce royaume de Dieu a des valeurs définies : l’amour du prochain, le pardon, la haine du mal, etc. Il ne tombe donc pas dans le piège d’une unité basée sur l’indéfinition. Le royaume de Dieu a des valeurs, et tous ceux qui veulent y entrer devront réévaluer leurs valeurs, leurs convictions et leurs cultures à l’aune du projet de Dieu. Ainsi, la haine, le mensonge, le mépris sont refusés à bon droit, même lorsqu’ils sembleraient naturels à l’une ou l’autre culture. Simultanément, une fois rectifiées par les valeurs du royaume, les différences culturelles, linguistiques etc… peuvent cohabiter harmonieusement, parce que l’amour chrétien et l’appartenance à Dieu surpassent ces différences.
Mais deux questions au moins se posent. Ce projet est-il crédible? Et ce projet est-il un paradigme occidental que l’on chercherait à imposer à la planète entière?
Un projet occidental ?
Sur ce dernier point, il faut rappeler que le Christianisme n’est pas une religion spécifiquement européenne ou occidentale. Son berceau est la Judée, située au croisement de l’Asie, de l’Europe et de l’Afrique. Dans les premiers siècles, les messagers du Christ sont partis dans toutes les directions, et pendant bien des siècles les Eglises de Perse, d’Inde ou de Chine dépassaient en nombre les églises d’Occident. Les hasards de l’Histoire (notamment la conquête militaire musulmane, mais aussi la peste noire et les contrecoups des conquêtes mongoles) ont pendant un temps presque confiné le Christianisme à l’Europe, avant qu’il ne se répande à nouveau en toutes directions en partant de là. Mais les Églises Éthiopiennes, Coptes, Nestoriennes et les différents chrétiens d’Orient sont là pour nous rappeler que la foi chrétienne a touché, dès le début, tous les continents sans passer d’abord par l’Europe. Et le Christianisme aujourd’hui n’est plus principalement occidental. Le deuxième pays qui envoie le plus de missionnaires dans le monde (après les USA) est la Corée du Sud, et il y a probablement plus d’Africains qui viennent évangéliser l’Europe que l’inverse.
Un projet crédible ?
Quant à la crédibilité du projet, regardons où il en est. La foi chrétienne est maintenant présente dans pratiquement toutes les cultures du globe. Des chrétiens se retrouvent chaque semaine partout autour de la planète, ils louent Dieu chacun dans leur langue, ils ont des cultes incroyablement variés mais reconnaissent tous Jésus comme leur Seigneur. Ils prient les uns pour les autres, et les nouvelles des difficultés locales font le tour de la planète[3]. Si vous voulez faire partie d’une entité multiculturelle qui marche, essayez l’Église!
Bien sûr, tout n’est pas rose; les chrétiens ont aussi leurs divisions et leurs tensions internes, et comme la foi en Jésus-Christ ne peut se recevoir que de manière volontaire, le projet n’avance pas plus vite que ce que les gens ne sont prêts à entrer dedans[4]. Je ne dis pas que les chrétiens sont des gens parfaits, qui font toujours bien leur travail, mais je dis que le plan de Dieu en Jésus-Christ est ce qui peut le mieux répondre au besoin d’une unité dans l’humanité, d’une multiculturalité bien vécue, d’une identité bien définie avec des valeurs fortes, belles et dignes.
Jean-René Moret, pasteur à l’Église Évangélique de Cologny
[1] Voir cet article: http://www.ledevoir.com/opinion/idees/474905/un-canada-postnational
[2] Apocalypse de Jean, chapitre 7, verset 9
[3] Un exemple parmi d’autres : l’organisation Portes Ouvertes, qui informe sur les persécutions subies par les chrétiens dans le monde entier.
[4] Dans l’histoire, les chrétiens ont fait l’erreur de penser qu’ils pouvaient faire avancer ce projet en utilisant le pouvoir politique ou économique pour faire entrer les gens dedans. C’est une grave trahison de l’exemple de Jésus. De plus, cela conduit au mythe de nations ou de culture qui seraient chrétiennes par nature, et à la récupération de l’identité chrétienne au profit d’un nationalisme qui tombe dans le repli identitaire.
l’Evangile du royaume est effectivement le seul “programme” qui accorde à tous sa place, ses droits (et devoirs) en définissant les moyens d’un parfait “vivre ensemble”. Dans ce contexte la déclaration de Jésus: “celui qui n’est pas avec moi est contre moi et celui qui n’amasse pas avec moi disperse” (Matt 12:30/Luc 11:23), prend un sens absolu et très particulier.
Il serait intéressant, si la place le permettait, de comparer la place des nations dans le projet divin/biblique et dans le projet babylonien qui lui est opposé. Chacun de ces projets a en effet son propre «multiculturalisme».
Merci aussi d’avoir choisi soigneusement certains mots, par exemple que les différences culturelles «cohabitent harmonieusement» dans le projet divin et non pas qu’elles seraient effacées ou résorbées dans le grand tout. L’unité biblique est toujours composite et dynamique, n’est-ce pas?