À l’heure où j’écris, l’attentat de Nice est encore tout frais. On n’est pas encore sûr du nombre de victimes, mais elles se chiffrent par dizaines. Bien sûr, c’est un grand choc, et on pense avec tristesse et compassion à ces personnes qui ont perdu la vie sans raison, et à tous leurs proches. En même temps, on commence ressentir une forme d’habitude. Juste après les attentats de Paris, on pouvait se dire que quelque chose avait changé, que la vie ne serait plus comme avant. Mais après un peu de temps, on se rend compte qu’on vit toujours de la même manière, on poursuit ses études ou on travaille, on mange, on dort, on aime, on rigole, on pleure. Les attentats ne sont pas oubliés, mais ils passent à l’arrière-plan. Je dirais même plus, ils commencent à se fondre dans l’arrière-plan, on commence à se faire à l’idée que dans notre époque les attentats se produisent, et qu’il faut s’attendre à ce que cela continue. Les attentats ne sont plus seulement des évènements ponctuels, mais ils font partie de notre situation. J’aimerais me pencher sur deux aspects de cette situation : d’une part, ces attentats meurtriers, médiatisés et plus ou moins aveugles nous forcent à considérer que la mort, notre mort, peut survenir à n’importe quel moment. D’autre part, nous prenons conscience que des gens nous haïssent, qu’ils veulent notre mort et se réjouiront en la causant.
La haine
Pour le moment, l’attentat de Nice n’a pas été revendiqué, et on ne sait pas si le conducteur agissait sous l’influence de Daesh. Mais ce qui est sûr, c’est que les sympathisants de Daesh ont célébré l’évènement. Il y a des gens pour qui notre mort est une bonne nouvelle, et cela nous rappelle ce qu’est la haine. Daesh a des cibles de choix : la France et les États-Unis pour leur implication en Syrie, la communauté gaie ciblée à Orlando, l’Arabie Saoudite à cause d’une rivalité sur le leadership du monde sunnite. Mais en tout, rares sont ceux qui peuvent se sentir vraiment exempté de la haine de Daesh ; c’est donc un « nous » très inclusif que j’emploie.
Alors, comment réagir ? La haine appelle la haine, il est tentant de rendre la pareille, de souhaiter « qu’on leur fasse la peau ». Et comme l’institution Daesh est lointaine géographiquement, on en viendrait vite à transposer la haine ou au moins la méfiance sur les musulmans plus proches de nous, immigrants ou installés. Rien ne dit qu’ils sympathisent avec Daesh, mais bon, « on n’est jamais trop prudent ». Cependant, la haine appelle la haine, et plus les musulmans ressentiront de mépris de la part de ceux qui les entoure, plus ils seront tentés par la rhétorique du terrorisme islamique. Si l’on répond à la haine par la haine, c’est la haine qui gagne.
Jésus-Christ, lui, propose une autre voie. Une voie déraisonnable :
Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Mais moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent[1. Évangile selon Matthieu, chapitre 5, versets 43 à 44.].
C’est la voie qui permet de ne pas faire gagner la haine, qui empêche de devenir comme Daesh en combattant Daesh. Mais il faut être un peu fou pour adopter cette ligne : cela ne protégera pas nos vies.
La peur de la mort
Avec Daesh, la mort s’invite dans les gros titres. La mort n’est pas seulement celle des vieux et des malades, ou celle de gens dans un pays lointain en proie à la guerre ou à la misère. Ce n’est même pas la mort avec trois mois de délai dont le cancer peut nous menacer. C’est la mort d’un jour à l’autre, sans prévisibilité et sans recours. Bien sûr, cela existe aussi dans les accidents de la route, les ruptures d’anévrismes, etc, et en chiffre Daesh n’est pas une source de mortalité majeure. Mais c’est la mort visible, clamée et pleurée. Un sentiment de solidarité avec les victimes nous rend la mort plus proche.
Or on s’est habitué à tenir la mort à distance, à ne pas trop y penser. On se sent appelé à profiter de la vie, comme étant la seule vie que nous ayons. Alors la mort est nécessairement absurde, et nécessairement terrifiante. Pour Jésus et pour les chrétiens à sa suite, il n’en est pas ainsi. Notre vie sur terre est voulue par Dieu et a de la valeur, mais elle n’est pas la fin de l’horizon. Notre vie sera suivie d’un jugement, selon que nous aurons vécu avec ou sans Dieu. La vie avec Dieu se prolongera dans la joie de le connaître, et dans cette perspective, vivre sa vie dans l’amour et la fidélité est plus important que de la prolonger. Jésus enseignait :
Quiconque en effet voudra sauver sa vie la perdra, mais quiconque perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. Et que sert-il à un homme de gagner le monde entier, s’il perd son âme [1. Évangile selon Marc, chapitre 8, versets 35 et 36.]?
Pour ne pas ressembler à nos ennemis, il nous faut les aimer. Mais pour pouvoir les aimer, il faut être prêt à perdre sa vie, et cela n’est possible qu’en ayant l’espérance qui vient de la réconciliation avec Dieu. Jésus est mort en portant le jugement que nous méritions, afin que notre mort ne mène plus au jugement et que nous soyons libérés de la crainte de la mort :
[Jésus] partagea la même condition [que les hommes], afin de réduire à l’impuissance, par sa mort, celui qui détenait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable, et de délivrer ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves[1. Lettre aux Hébreux, chapitre 2, versets 14 et 15.].
Jean-René Moret, 16 Juillet 2016
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