J’ai eu récemment l’occasion de faire du covoiturage avec une inconnue. Comme souvent, ces voyages sont une occasion de découvrir de nouvelles personnes et leur conception du monde. Cette jeune femme en particulier était végétalienne et antispéciste. Si je suis familier avec le végétalisme, je n’avais que vaguement entendu parler d’antispécisme et encore moins rencontré une personne pour qui il s’agissait d’une clé de compréhension du monde.
Définition
Avant d’aller plus loin, une rapide définition de ces deux termes. Tout d’abord le végétalisme consiste en un régime alimentaire qui exclut tout aliment provenant d’animaux morts, comme la viande, ou vivants, comme le lait ou les œufs.
Souvent la motivation d’un régime végétalien est liée avec l’antispécisme qui affirme qu’aucune espèce animale ne devrait être considérée comme supérieure à une autre, et donc que l’appartenance à l’espèce humaine (en particulier) ne justifie pas l’exploitation des autres espèces. Un des maîtres à penser de l’antispécisme est Peter Singer qui
« […] soutien[t] qu’il ne peut y avoir aucune raison — hormis le désir égoïste de préserver les privilèges du groupe exploiteur — de refuser d’étendre le principe fondamental d’égalité de considération des intérêts aux membres des autres espèces. [1. Peter Singer, La Libération animale.]».
Conflit
Alors que nous faisions route, ma covoitureuse m’a questionné sur ma foi, la religion et donc ma compréhension du monde. Inévitablement, elle y a trouvé des éléments contredisant ses convictions. Au travers de nos échanges, voici les trois positionnements que ma covoitureuse posait comme contraintes à la réception d’un message chrétien :
- Premièrement, il lui semblait que le régime alimentaire de l’Homme pouvait très bien se passer de toute sorte d’apport animalier, et donc qu’il serait censé être végétalien.
- Deuxièmement, elle ne pouvait cautionner le traitement actuel des animaux dans leur exploitation, leur usage, etc.
- Troisièmement , elle pensait nécessaire que l‘Homme apprenne à vivre en harmonie avec le reste de la nature, en particulier du règne animal puisque l’Homme n’est pas différent (entendons « différent » en termes de domination ou de supériorité) des autres espèces.
Face à ces trois points, la Bible semble cautionner non seulement une domination sur les autres espèces[1. Voir par exemple Genèse, chapitre 1, versets 27 et 28.] et une alimentation qui comprend beaucoup de viande et de poisson, mais aussi un usage « rituel » des animaux en les tuant pour des sacrifices, et donc un exercice de domination et de non-respect vis-à-vis des autres espèces.
Points d’accord
Pour être tout à fait honnête, je n’ai pas saisi de prime abord la raison pour laquelle ces éléments l’empêchaient de comprendre le message de la Bible. Alors on a creusé ensemble. Être bloqués pendant 2 heures dans une voiture, ça laisse le temps de préciser les choses.
Tout d’abord, je ne pense pas qu’il soit impossible que l’Homme ait été conçu pour être végétarien. L’histoire de la création dans la Genèse et l’apparition de la consommation de viande après le péché originel seulement laissent supposer que cette théorie n’est pas du tout farfelue.
Ensuite, en tant que chrétien, je ne peux pas non plus, à mon humble avis, cautionner le traitement actuel des animaux dans toute leur horreur industrielle. Enfin, je pense qu’effectivement l’Homme a le devoir de mieux s’intégrer dans l’environnement dans lequel il est appelé à évoluer (en matière de pollution, de consommation, d’exploitation, etc.).
Si la discussion devait s’arrêter là, nous pourrions nous saluer, prendre chacun son chemin et être arrivés à la conclusion que nous étions d’accord sur tous ces points.
Presque.
Le cœur du problème
Le cœur du problème que soulevait ma covoitureuse, et que d’autres penseurs antispécistes ont soulevé également, est le message chrétien d’un salut spécifique pour l’Homme et, de façon encore plus explicite, de l’incarnation du divin en homme en la personne de Jésus. Ce message donne à l’homme une place différente du reste du monde animal, et donc pose problème à une vision antispéciste.
Dans cette vision, on ne peut ni comprendre ni accepter une foi où l’Homme a une place particulière, supérieure, dans la création de Dieu. Le problème se concentre sur le fait que la Bible indique que l’Homme domine sur la création, et n’est pas l’égal des autres espèces qui lui sont soumises.
Morale ou instinct ?
Mais cette réflexion a selon moi quelques limites bien embarrassantes. Prenons que l’Homme est un animal comme les autres, auquel cas il est soumis aux mêmes « lois » ou « règles » (je mets des guillemets car une telle loi ou règle serait encore à définir) que tous les animaux. La règle générale, c’est que toute espèce animale cherche à se maintenir, à survivre. Cette survie peut se produire par le développement d’une espèce, par sa prolifération, par sa définition d’un territoire, par sa recherche de nourriture et/ou par son organisation particulière. L’objectif « naturel » de la survie dicte la manière de se développer et de s’adapter au milieu de vie.
Ce que j’ose appeler instinct dicte alors le mode de fonctionnement d’une espèce. On ne peut pas reprocher aux lions leur mode de fonctionnement, ni espérer d’eux qu’ils se le reprochent les uns aux autres. Mais alors, il n’y a pas de raison valable pour reprocher à l’Homme sa manière de fonctionner. Après tout, l’espèce humaine a trouvé une voie de fonctionnement naturelle lui permettant de s’étendre, de se développer, de survivre, un peu comme un virus, pour reprendre l’image du film Matrix. Or si l’homme est au même niveau que le reste des animaux, on ne peut pas attendre de lui qu’il fonctionne différemment. Si un être humain n’est pas plus qu’une biche, un lion, une souris ou un chien, alors nous ne sommes pas en droit d’attendre de lui un comportement « responsable ».
Autrement dit, si l’Homme est une espèce comme les autres, éventuellement avec un degré de compétences différent des autres, comment lui reprocher moralement ou éthiquement sa manière d’évoluer dans son environnement ?
Responsabilité humaine
Pourtant, nous admettons que l’Homme se différencie des autres espèces par son dérèglement ou sa « mauvaise intégration » dans son environnement. Si je pousse un peu plus loin, si l’espèce humaine fait « mal » les choses – et on peut aisément le reconnaître en observant notre mode de vie – alors c’est qu’il pourrait faire « bien » les choses.
Cette notion de mal ou bien faire les choses induit un élément qui me semble personnellement nécessaire pour exiger de l’Homme de « mieux » fonctionner : la responsabilité. Lorsque Peter Singer, dans la citation plus haut, dit que la seule chose qui justifie la manière dont l’Homme exploite les autres espèces est son égoïsme, il fait entrer en jeu ici une dimension morale, éthique, qui concerne le bien et le mal[4. Au sujet du bien et du mal, voir nos deux articles :
- Si Dieu n’existe pas, qui est en droit de décider de manière absolue de ce qui est bien ou mal ?
- « Le bien et le mal sont déterminés par l’éducation, la société et les choix personnels. »]. Nous pouvons bien sûr accepter que l’égoïsme dont parle Singer est une mauvaise chose, mais ce qu’il faut noter, c’est que l’on n’accuserait pas un lion ou un nuage de sauterelles d’égoïsme.
Pour pouvoir reprocher à l’Homme son mauvais comportement, il faut qu’il soit responsable de sa gestion, bonne ou mauvaise, de l’environnement dans lequel il évolue. S’il n’est responsable de rien, on ne peut rien exiger de lui. Si on peut (et doit ?) exiger quelque chose de lui, c’est qu’il est responsable, qu’il doit répondre de ses actes. Et s’il est responsable, il est fondamentalement différent du reste du monde animal. C’est bien parce qu’il est différent des autres espèces qu’il a le devoir de les respecter plutôt que de les exploiter.
La Bible, l’Homme et l’environnement
Bibliquement, l’Homme est placé comme responsable (gestionnaire) de l’ensemble de la création que Dieu a faite. Cette responsabilité implique une influence sur le monde qui l’entoure et dont il fait partie. Tout comportement bon ou mauvais aura une influence bonne ou mauvaise sur l’ensemble. Par ailleurs, dans la Bible, le plan du salut a une portée plus étendue que la seule destinée de l’humanité. La Bible fait référence à la création comme souffrant des douleurs de l’accouchement (pour dire si elle souffre !) à cause de la nature « enrayée » de l’humanité – ou son manque de soin en quelque sorte[2. Voir la lettre de Paul aux Romains, chapitre 8, versets 18 à 25.]. La Bible parle également d’une création, d’une terre qui espère une régénération complètement liée à la régénération de l’Homme. C’est donc l’ensemble de la nature qui est étroitement lié à la particularité de l’espèce humaine. Au travers de l’Homme responsable, c’est la nature entière qui bénéficiera du salut proposé par la Bible.
Donc non, la nature, et toutes les espèces vivantes ne sont pas en reste dans ce plan de salut ! Ce plan de salut est holistique, même si son chemin semble particulier. Je comprends que l’antispécisme répond à une attitude abusive de l’Homme envers la nature. Selon moi, considérer l’espèce humaine à égalité avec les autres espèces ne peut que soit faire naître en lui un sentiment de devoir, de responsabilité et de redevabilité, et par là le faire différent (c-à-d à part) des autres espèces, soit annuler toute responsabilité éthique ou morale.
Seule une compréhension biblique de la responsabilité de l’Homme en tant que gestionnaire peut encourager à une meilleure harmonie entre toutes les espèces de la création ; c’est alors que nous pouvons exiger de l’Homme de faire « mieux ». Seul le péché qui a fait chuter l’humanité peut expliquer efficacement pourquoi l’ensemble des espèces subit la « mauvaise » gestion de notre environnement, et permet d’expliquer pourquoi cette espèce en particulier met en danger tant d’autres. Seul le salut pour l’Homme, et donc son rétablissement, ouvre une espérance pour une vie équilibrée dans tout ce que compose la nature qui nous entoure.
Il y aurait beaucoup d’autres pistes à creuser, d’autres éléments à discuter, mais cet article, vous l’aurez compris, ouvre une réflexion non-exhaustive et rend compte d’une discussion fortuite et passionnante !
Pierre Stefanini, Janvier 2017
2 réflexions sur « Les animaux sont-ils les égaux de l’homme? »