La souffrance dans nos vies : intruse ou opportunité ?

Parfois, on est fragilisé par la vie dès le départ. Et l’on doit trouver sa place dans une société qui ne fait pas de cadeau. Étant soi-même fragile, on doit trouver une place fragile dans un monde fragile. Il peut arriver que l’on perde son travail, ou que l’on vive une déception amoureuse, une séparation, la mort d’un être cher. Alors, face aux souffrances de la vie, on peut traverser une période de crise, et ce, quel que soit l’âge ! Éperdu de douleur, on recherche une pensée, une philosophie, qui permette de raccrocher son âme à la dérive, ballottée par les tourments et les regrets, et menacée de naufrage sur les récifs du désespoir.

On peut dès lors être tenté, très naturellement, de mettre en place des mécanismes de protection. Face à la souffrance, il s’agit de désirer moins et d’aimer moins… pour souffrir moins. C’est précisément ce que propose le bouddhisme, qui systématise cette attitude d’auto-protection, et l’érige en philosophie de vie.

Dans cette série de quatre articles sur le thème « L’homme moderne face à la souffrance », je me propose de montrer que l’espérance chrétienne apporte des réponses essentielles aux questions du cœur face au problème du mal et de la souffrance. Ce premier article montrera la faiblesse de notre société moderne dans sa gestion de la souffrance. Il tâchera de répondre à la question suivante : « mais comment font-ils donc, ces chrétiens, pour traverser la souffrance ? ».

La souffrance, cette grande intruse !

Au sein de nos sociétés occidentales matérialistes et hédonistes, l’homme se comporte comme s’il n’y avait pas de « Ciel » au-dessus de sa tête. Comme si tout était horizontal : « ni Dieu ni maître ! »

Dans cette idée,

  • le but ultime de la vie, c’est le bien-être et l’épanouissement personnels, et
  • la norme de la vie, c’est la liberté de choix de l’individu..

Dans ce contexte, la souffrance apparaît comme anormale :

  1. Elle est ce que l’on a pas choisi. Elle est un accident, « une perturbation chaotique », « étrangère à la trame de la vie[1. Keller Timothy, La Souffrance : Marcher avec Dieu à travers les épreuves et la douleur, Lyon : Clé, 2015, p. 36.] ».
  2. Elle est l’obstacle qui empêche l’individu de jouir du bien-être, et, par conséquent, d’atteindre le but de sa vie.

Le bonheur est alors considéré comme absence de souffrance, ce qui rapproche notre mentalité moderne du bouddhisme.

La souffrance n’est plus quelque chose qui doit être vécu, traversé pour grandir, mais un état à prévenir ou à soigner
.

Pour prévenir ou soigner la souffrance, et pour obtenir un bonheur de type « bien-être », on a recours à tous les moyens humains et techniques qui s’offrent à nous : moyens techniques, scientifiques et médicaux ou moyens magiques. Quand je parle de magie, je parle du recours à la voyance, au spiritisme, aux médecines alternatives et aux techniques de bien-être inspirées des religions orientales (sophrologie, yoga, énergéticiens). Par exemple, la sophrologie met le psychisme de la personne dans un agréable état de demi-sommeil, et permet de soulager momentanément la souffrance d’une personne, mais sans régler son problème. Le reiki, lui, se propose, moyennant une manipulation des zones sensibles de la voûte plantaire ou du lobe de l’oreille, de guérir des maux de l’âme, en agissant « énergétiquement » sur les zones du corps responsables des déséquilibres « intérieurs ».

Mais la souffrance n’est-elle qu’un problème médical que l’on confie à des spécialistes ? L’emploi d’un vocabulaire médical pour décrire la souffrance pourrait le laisser penser ! La notion de stress, par exemple, a remplacé celle de détresse. Le fait de confier sa souffrance à un spécialiste peut justement être assimilé à une démission irresponsable, et dangereuse !

Oui, force est de constater, que dans notre monde ultra-moderne où la souffrance apparaît comme la grande intruse, l’homme occidental n’a pas d’autre choix que de se tourner vers d’autres cultures pour lui faire face[1.« Quand les occidentaux sécularisés ne peuvent éviter leur souffrance ou la minimiser, il sont forcés d’emprunter les ressources offertes par d’autres modes de pensée, comme l’hindouisme, le bouddhisme, le stoïcisme grec, même si leurs croyances sur la nature de l’univers n’ont aucun lien avec elles ». Keller Timothy, op. cit.,p. 28.]!

La souffrance peut provenir de différentes sources :

  1. soit elle est le fruit de circonstances indépendantes de notre volonté, sur lesquelles nous n’avons que peu de prise.
  2. soit elle est la conséquences de nos erreurs. L’apitoiement sur soi est alors déplacé.

Dans tous les cas, une épreuve sur le chemin nous met au défi. Elle nous place en face de notre responsabilité d’humain et nous appelle à l’agir et au choix.

Une réaction naturelle face à la souffrance : le délit de fuite

Parfois, dans notre vie, ça roule, tout va bien ! D’autre fois, notre patience est mise à l’épreuve par d’incroyables tensions. Les épreuves et la souffrance qui en découle sont toujours indésirables. Elles perturbent notre existence en nous éloignant de nous le bonheur auquel nous aspirons. Mais les tensions et les accidents de parcours sont aussi des défis à relever, et des occasions qui révèlent notre maturité, notre sens de la responsabilité. Le chrétien croit que la difficulté éprouve et affermit la qualité de sa confiance en Dieu, de sa foi, et de son caractère, comme l’or est épuré de ses impureté par le chaleur du feu[1. 1 Pierre 1.6-7 : « vous êtes remplis de joie, même si toutes sortes de difficultés doivent vous rendre tristes pendant un peu de temps. Ces difficultés servent à montrer la qualité de votre foi. L’or peut s’abîmer, pourtant on le met dans le feu, pour voir s’il est pur. C’est pareil pour votre foi. Elle est plus précieuse que l’or, mais elle aussi est mise à l’épreuve ».].

Lors d’un accident, une attitude responsable consiste à faire un constat (à l’amiable, si possible), à négocier avec l’autre, et à payer les dégâts !

Au contraire, une attitude irresponsable consiste à se victimiser, à accuser l’autre de tous les torts, à nier les faits, voir à fuir les lieux !


Se victimiser,
accuser l’autre de tous les torts, c’est ce que fait l’homme quand il accuse l’autre, Dieu ou la société de tous les maux.

Nier les faits,c’est ce que fait l’homme :

– quand il refuse de regarder la souffrance en face,

– quand il considère la souffrance comme quelque chose d’anormal, qui doit être évité, ou comme une illusion qui doit être dépassée, ou une maladie qui doit être guérie.

Pourtant, la souffrance fait bien partie de la vie depuis que le mal est entré dans le monde, du fait de la rébellion humaine [1. Voir le deuxième article de la série : « L’apparition du mal et de la souffrance sur terre : qu’en disent le bouddhisme et la Bible ? ».].

Fuir les lieux,

c’est chercher à endormir la souffrance et à en supprimer les causes sans réellement résoudre le problème. Que diriez-vous d’un dentiste qui se contenterait de vous faire une piqûre anesthésiante sans soigner votre dent cariée ? Vous le traiteriez d’irresponsable ! Il en va de même lorsque nous nous victimisons, et que nous utilisons la souffrance comme un prétexte pour rejeter nos responsabilités.

Prenons un exemple de délit de fuite, celui d’une relation amoureuse qui tourne mal, d’un couple qui se défait. Le raisonnement est le suivant :

  1. Je ne suis plus heureux dans mon couple.
  2. Je me victimise.
  3. J’accuse l’autre de tous les torts.
  4. Je nie les faits me concernant.
  5. La cause de mon problème, c’est l’autre !
  6. Je dois donc l’expulser hors de ma vie.
  7. Je fuis les lieux en quittant mon conjoint.

Cet exemple est tiré du réel. Une jeune femme a accouché de son troisième enfant seule. Son mari l’avait poussée à l’avortement, prétextant des difficultés conjugales : « Tu ne peux pas nous faire ça ! Être enceinte au moment ou notre couple va si mal ! Soit tu avortes, soit je te quitte ! ».

Est-ce en fuyant la souffrance qu’on règle les problèmes ? Non ! Que de graves conséquences de cet abandon, de cet égoïste renoncement à l’amour ! Quelles souffrances pour la famille, la mère et les enfants !

L’épreuve, en fin de compte, révèle la qualité de notre amour pour l’autre. Mais la Bible va plus loin ! Elle affirme que l’épreuve fait également ressortir la qualité de notre amour pour Dieu. Elle ajoute que cet amour se fortifie au milieu de l’épreuve, lorsque celle-ci est vécue, traversée dans la confiance en Dieu : c’est ce que la Bible appelle « la foi ».

L’espérance chrétienne, un appel à la responsabilité devant l’épreuve

Quels conseils de sagesse la Bible propose-t-elle à l’homme dans l’épreuve ?

Face à l’épreuve, la Bible invite l’homme à :

– regarder, avec l’aide de Dieu, les choses telles qu’elles sont ;

– compter sur son aide, sa consolation et son amour pour assumer la situation telle qu’elle est !

– regarder à Jésus, qui, face à la souffrance de l’homme, a accepté de « payer les dégâts » ;

– regarder, au-delà de la souffrance, vers le secours de Dieu, qui prévoit une issue à la souffrance, dans ce monde, où dans l’éternité que l’homme est appelé à passer avec lui[1. Apocalypse 21.4.].

La Bible affirme en effet :

« Les tentations auxquelles vous avez été exposés ont été à la mesure de l’homme, Dieu est fidèle ; il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces. Avec la tentation, il vous donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter[1. 1 Corinthiens 10.13 (TOB)]».

Ainsi, l’homme qui croit en Dieu peut :

  • Crier à Dieu dans l’épreuve, mais sans la considérer comme anormale[1. 1 Pierre 4.12 : « Mes chers amis, ne vous étonnez pas d’être en plein feu de l’épreuve, comme s’il vous arrivait quelque-chose d’anormal. » (Trad. Français courant).]
    L’épreuve, traversée avec Dieu, est un moyen d’expérimenter le secours divin, de se rapprocher de Dieu, et de faire grandir notre relation avec lui. En refusant le déni de réalité, le croyant crie à Dieu. Il suit ainsi l’exemple de Job, David, Jérémie, et de Jésus lui-même : « Invoque-moi au jour de la détresse; Je te délivrerai, et tu me glorifieras[1.Psaume 50.15]».
  • Persévérer et apprendre dans l’épreuve
    Un texte de la Bible présente ainsi l’épreuve comme un moyen de progresser :

Mes frères, considérez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves que vous pouvez rencontrer, sachant que l’épreuve de votre foi produit l’endurance. Or il faut que l’endurance accomplisse son œuvre pour que vous soyez accomplis et parfaits à tous égards, et qu’il ne vous manque rien[1.Jacques 1.2-4.].

  • Regarder à Jésus qui, ayant souffert pour nous à la croix, est capable de nous comprendre et de nous secourir.

Le croyant possède une force considérable face à l’épreuve : celle de savoir que Jésus, Dieu fait homme est capable de le comprendre, car il est aussi passé par là : On l’appelle aussi du nom d’Emmanuel, ce qui signifie « Dieu avec nous ». Et c’est ainsi que Jésus se montre vraiment, dans les évangiles, à la croix : « Dieu avec nous dans nos souffrances[1. Hébreux 4.15-16 : « Nous n’avons pas un grand-prêtre incapable de souffrir avec nous de nos faiblesses. Au contraire, notre grand-prêtre a été tenté en tout comme nous le sommes, mais sans commettre de péché. Approchons-nous donc avec confiance du trône de Dieu, où règne la grâce. Nous y obtiendrons le pardon et nous y trouverons la grâce, pour être secourus au bon moment ».]».


Aurélien Bloch
, Juillet 2017


Voir les autres articles de la série :

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Une réflexion sur « La souffrance dans nos vies : intruse ou opportunité ? »

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