La reconversion professionnelle, vers plus d’épanouissement au travail ?

Depuis quelques années se multiplient des histoires de reconversion professionnelle qui vendent du rêve : le juriste qui plaque tout pour devenir éleveur de chèvre en Corrèze, le jeune ingénieur qui ouvre sa fabrique de Kombucha… Souvent des histoires de professionnels lassés de leur travail où ils ne retrouvent pas leurs valeurs et qui décident de vivre de leur passion ou de leur rêve. Dans un monde qui promeut la productivité et la croissance économique, et face à l’urgence climatique et aux inégalités sociales, les modes de vie alternatifs sont attractifs. Pour ceux qui travaillent principalement derrière un écran, un travail manuel au résultat visible, ou encore un travail davantage relationnel ou proche de la nature fait envie. Qui n’aspire pas à une vie complètement cohérente avec ses valeurs et ses actions, et qui en plus, contribue de façon positive à la société ? Selon un sondage récent, 1 Français sur 5 est engagé dans un processus de reconversion professionnelle. Le secteur économique de la reconversion professionnelle est en plein boum depuis la crise du covid, véritable catalyseur pour de nombreux actifs. Les confinements ont donné du temps pour réfléchir à son bien-être au travail. Ce n’est sans doute pas un hasard si les arnaques téléphoniques avec le CPF se multiplient ces derniers mois !

Malheureusement, il n’y pas que des success story inspirantes dans les reconversions professionnelles. Derrière les belles histoires se cachent des réalités parfois difficiles à gérer, notamment économiques et familiales. Changer de voie professionnelle, cela a un coût ! Il faut accepter d’investir dans la formation, l’accompagnement personnalisé, et éventuellement la création d’entreprise. Dans certains cas, il faudra aussi accepter de moins bien gagner sa vie, peut-être de déménager, ou encore d’avoir un emploi du temps plus contraignant. Les chèvres ne débauchent pas à 18h ! Quand on a une vie de famille, tous ces changements ont un impact sur les autres membres. Enfin, il est souvent facile d’idéaliser son métier rêvé, en oubliant les tâches quotidiennes moins “glamour” (la charge administrative, des clients désagréables, le côté répétitif de certaines tâches…). Faire de la couture ou de la pâtisserie à la maison sur son temps libre reste une activité très différente qu’en faire son activité professionnelle et son gagne-pain !

J’enfonce sûrement une porte ouverte, mais même en adorant son travail (ses collègues, les conditions de travail, l’environnement…), il y a toujours des côtés négatifs ou plus contraignants.Le travail en soi n’est pas LA solution pour s’épanouir complètement. D’ailleurs, les cours de philosophie du lycée ne nous ont-ils pas appris que le mot “travail” vient étymologiquement de “tri palium”, c’est-à-dire “trois pieux”? Autrement dit, un instrument de torture – on ne peut échapper à la peine que donne le travail, même si c’est notre métier rêvé. Ce constat, bien que réaliste, est assez déprimant ! Quelle vision du travail adopter pour tenter de s’épanouir dans ces conditions ? En réalité, pour répondre à cette question, nous devons d’abord questionner la place de l’épanouissement et du bonheur dans nos vies. Si l’épanouissement personnel est le but premier de l’existence, alors dans un monde idéal tout notre temps devrait y être consacré – or il est évident que ce n’est pas le cas dans notre vie quotidienne ! Ou alors, il faudrait faire une concession en “faisant avec” la pénibilité du travail pour s’épanouir ailleurs. 

Dans tous les cas, la question du travail est une question éminemment existentielle que la Bible aborde de façon réaliste. La condition humaine vis à vis du travail y est décrite, et ce dès les premiers chapitres de la Genèse. Le récit de la Création pose un fondement dans la compréhension du monde selon la Bible. Tout d’abord, Dieu lui-même par son activité créatrice est un “travailleur” ; il se repose même le septième jour pour profiter de son œuvre. Dieu confie ensuite  à Adam et Ève la responsabilité de cultiver et de prendre soin du jardin d’Éden (c’est dans ce sens qu’il faut comprendre “dominer”[1]).

“Dieu les bénit en disant : Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre, rendez-vous en maîtres, et dominez les poissons des mers, les oiseaux du ciel et tous les reptiles et les insectes.

Et Dieu dit : Voici, je vous donne, pour vous en nourrir, toute plante portant sa semence partout sur la terre, et tous les arbres fruitiers portant leur semence.

Je donne aussi à tout animal de la terre, aux oiseaux du ciel, à tout animal qui se meut à ras de terre, et à tout être vivant, toute plante verte pour qu’ils s’en nourrissent.” (Genèse 1.28-30)

Le travail, ou en tout cas l’activité, fait partie de la Création bonne de Dieu : l’agriculture, l’artisanat, l’industrie, même le secteur tertiaire est une bonne chose dans la mesure où il s’agit de la gestion des ressources de la Terre, permettant ainsi de subvenir à ses propres besoins mais aussi à ceux des autres. Dieu se réjouit de son activité, et les humains sont appelés dans leur travail à se réjouir eux aussi et à profiter de leur activité.

Le problème vient après la désobéissance d’Adam et Ève, lorsqu’ils ont choisi de se détourner de leur Créateur pour déterminer eux-même ce qui est bon pour eux. Cet événement a complètement brisé le rapport entre Dieu et l’humanité, les humains entre eux, et l’humanité et l’environnement. Les conséquences sont sans appel : Dieu dit à Adam,

“le sol est maudit à cause de toi. C’est avec peine que tu en tireras ta nourriture tout au long de ta vie. Il te produira des épines et des chardons ; et tu mangeras des produits du sol. Tu en tireras ton pain à la sueur de ton front jusqu’à ce que tu retournes à la terre, puisque tu as été tiré de celle-ci. Car toi, tu es poussière et tu retourneras à la poussière.” (Genèse 3.17b-19)

L’activité humaine censée être épanouissante et pleine de sens devient pénible. Elle devient même potentiellement destructrice. Les rapports des hommes entre eux et avec la nature étant brisés, la “domination” bonne devient exploitation abusive : exploitation de la nature, exploitation des autres être humains pour servir ses propres intérêts.

Ainsi, après avoir énuméré toute sa réussite autant professionnelle que personnelle, l’auteur de l’Ecclésiaste dans l’Ancien Testament constate :

“Tout ce que mes yeux avaient désiré, je ne les en ai point privés; je n’ai refusé à mon cœur aucune joie; car mon cœur prenait plaisir à tout mon travail, et c’est la part qui m’en est revenue. Puis, j’ai considéré tous les ouvrages que mes mains avaient faits, et la peine que j’avais prise à les exécuter; et voici, tout est vanité et poursuite du vent, et il n’y a aucun avantage à tirer de ce qu’on fait sous le soleil.” (Ecclésiaste 2.10)

Heureusement, la Bible ne s’arrête pas là. Il s’agit de repenser complètement notre façon de concevoir le travail dans une attitude de service, d’humilité et de reconnaissance. Quand on replace le travail dans un cadre plus large, celui voulu par Dieu à la Création, on se décentre de la recherche de l’accomplissement personnel. Nos ambitions personnelles sont finalement au service de Dieu et des autres, ce qui implique d’aligner ses valeurs avec celles de Dieu. Le dernier livre de la Bible, l’Apocalypse, fait de nombreuses allusions au récit de la Création, comme un jeu de miroir. Dans un beau renversement de situation, on ne retourne pas dans le jardin d’Eden, mais on entre dans une Jérusalem renouvelée, où le mal n’existe plus. Autrement dit, l’activité humaine (représentée par la ville) est valorisée par Dieu dans la finalité de l’Histoire.

Alors finalement, peut-être que s’il est utile de changer de métier quand il ne correspond pas à nos valeurs ou à notre façon de vivre, il faut déjà réfléchir à la finalité de l’épanouissement : vivons-nous notre vie pour nous ou pour Dieu et pour les autres ?

 

 

Joanna Schlake, 2022

________________________

Notes

  1. Voir notre article :

Pourquoi lire la Bible ? Elle encourage l’exploitation de la nature !

https://www.foienquestions.eu/?p=3338

 

Bibliographie :

https://start.lesechos.fr/travailler-mieux/metiers-reconversion/histoires-de-reconversion-mais-quest-ce-que-je-fais-la-1176707

https://www.helloworkplace.fr/chiffres-cles-reconversion-professionnelle/

https://www.lepoint.fr/economie/un-actif-sur-cinq-est-engage-dans-une-reconversion-professionnelle-10-02-2021-2413474_28.php

http://www.slate.fr/story/215796/reconversion-professionnelle-reve-desillusion-2-pourcent-echec-sondage-bva

https://start.lesechos.fr/travailler-mieux/metiers-reconversion/reconversion-ils-ne-sattendaient-pas-a-une-telle-galere-1341202

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *