Certains disent que la Bible ne fait aucun cas du bien-être animal. Aux temps bibliques, il est vrai, on ne trouvait pas d’élevages intensifs, d’hormones ou d’antibiotiques… pas plus que d’abattoirs dans lesquels des animaux étaient mis à mort à la chaîne de façon horrible. Cependant, la Bible accorde déjà à la “création” une valeur toute particulière, et elle rend l’homme responsable d’en prendre soin : il en est l’intendant.
- Selon la Bible, la “création” possède une valeur intrinsèque, extra-humaine.
Certains mouvements de l’écologie moderne, tels que l’écologie profonde[1] et l’antispécisme[2], donnent à la « biosphère » une valeur intrinsèque et indépendante de l’humanité. En cela, ils apportent une réponse à l’avertissement déjà formulé par le penseur Hans Jonas : Depuis que la nature n’est plus une menace pour l’homme, mais l’homme une menace pour elle, l’impératif de sa préservation se fait ressentir avec urgence :
il n’est plus dépourvu de sens de demander si l’état de la nature extra-humaine, … maintenant soumise à notre pouvoir, n’est pas devenu par le fait même un bien confié à l’homme et qu’elle a quelque chose comme une prétention morale à notre égard – non seulement pour notre propre bien, mais également pour son propre bien et de son propre droit. Si c’était le cas, cela réclamerait une révision non négligeable des fondements de l’éthique. Cela voudrait dire chercher non seulement le bien humain mais également le bien des choses extra-humaines, c’est-à-dire étendre la reconnaissance de « fins en soi » au-delà de la sphère de l’homme et intégrer cette sollicitude dans le concept du bien humain. Aucune éthique du passé (mise à part la religion) ne nous a préparés à ce rôle de chargés d’affaires — et moins encore la conception scientifique dominante de la nature. Cette dernière nous refuse même décidément tout droit théorique de penser encore à la nature comme à quelque chose qui mérite le respect puisqu’elle réduit celle-ci à l’indifférence de la nécessité et du hasard et qu’elle l’a dépouillée de toute la dignité des fins.[3]
Est-ce plus qu’un intérêt utilitaire ? Est-ce simplement la prudence qui recommande de ne pas tuer la poule aux œufs d’or ou de ne pas scier la branche sur laquelle on est assis ?[4]
La Bible formule une pensée similaire. Dans le texte biblique, la Terre, la « biosphère », est confiée par Dieu à l’être humain, mais elle ne lui appartient pas ! Elle appartient à Dieu, et existe pour son bon plaisir. Dieu, lors de la création, se réjouit de ses œuvres en voyant combien elles sont bonnes, et même très bonnes.[5] Toutes ses œuvres le louent[6], et les cieux racontent sa grandeur [7]. Ainsi, si la Terre n’est pas, pour les chrétiens, une déesse et un objet de vénération, comme chez les mouvements de l’écologie néo-païenne de Gaïa, elle est un livre qui parle aux hommes de la grandeur de Dieu. C’est aussi ce qu’affirme l’apôtre Paul dans sa lettre aux chrétiens de Rome : « les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. »[8].
Ainsi, si la Bible accorde une telle valeur à l’ensemble de la “création”, il est évident que le règne animal est inclus dans cette valeur, intrinsèque, de la nature, qui existe pour Dieu. Et Dieu demandera des comptes, un jour, aux hommes chargés de garder le jardin de la création. Il décrètera alors : « le temps est venu (…) de détruire ceux qui détruisent la terre »[9].
- Dieu demandera aux humains de rendre compte de leur intendance du “jardin” de la création.
- La Bible affirme avec force une responsabilité “écologique” spécifiquement humaine.
Dans le récit biblique des origines, Dieu demande à l’homme de nommer les animaux [10] ; après quoi il est appelé à cultiver et à garder le jardin de la création. Le Dieu de la Bible accorde donc à l’humanité une dignité particulière, accompagnée d’une responsabilité spéciale. Or, les antispécistes cherchent à établir une égalité homme-animal sur la base d’un nouveau concept : celui de sentience. Ce terme désigne, « pour un être vivant, la capacité à ressentir les émotions, la douleur, le bien-être, etc. et à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie. »[11]. Mais l’affirmation de cette égalité s’accompagne, malheureusement, d’un effacement de la différence homme-animal. Et pourtant, c’est cette différence qui est fondatrice de la responsabilité humaine ! On ne portera jamais un lion devant un tribunal parce qu’il a dévoré une gazelle ! Néanmoins, punir le massacre d’éléphants commis pour en récupérer l’ivoire, cela nous paraît normal, et tout à fait juste. N’y a-t-il pas là un indice de la conscience, innée, que nous avons de notre responsabilité à l’égard du règne animal ? Cette responsabilité est confirmée par la Bible.
- Selon la Bible, Dieu accorde beaucoup d’importance aux animaux.
Que ce soit dans les évangiles, ou même dans la Loi de Moïse, nous voyons Dieu prendre soin de ses créatures, et fixer des limites à l’exploitation des animaux par les êtres humains.
On se souviendra de cette parole de Jésus à ses disciples : « Regardez les oiseaux. Ils ne sèment pas, ils ne moissonnent pas. Ils ne mettent pas de récoltes dans les greniers. Et votre Père qui est dans les cieux les nourrit ! »[12]. Et si ce même verset insiste sur la valeur particulière des humains dont Dieu prend soin, n’oublions pas que ces derniers sont tenus pour responsables des créatures qui leurs sont confiées.
C’est cette exigence de bienveillance envers les créatures qui est développée par Moïse dans les textes de la Loi juive relatifs au jour hebdomadaire du repos, le Sabbat : « Personne ne doit travailler ce jour-là, ni toi, ni… ton bœuf, ni ton âne, ni tes autres animaux »[13]. Ce repos de Sabbat préfigurait, déjà, un autre jour, celui de la restauration finale de la Paix dans l’univers.
- Selon la Bible, Dieu n’a donné les animaux pour nourriture aux humains qu’après l’irruption de la violence et du mal dans le monde., et il prévoit une libération finale des créatures.
Dans le récit de la Genèse, Dieu dit à l’homme : “Voici que je vous donne toute herbe porteuse de semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre fruitier porteur de semence : ce sera votre nourriture”[14]. Surprenant, non ? Pour que Dieu autorise l’homme à se nourrir de viande, il faudra attendre le temps de Noé, et cela est plutôt présenté comme un mal. En effet, c’est à cette époque là que selon la Genèse, la terre a été toute entière soumise au mal, suite à la rébellion des humains : “La terre était corrompue devant Dieu, … pleine de violence (…) toute chair avait corrompu sa voie sur la terre.”[15]. C’est après le déluge purificateur que Dieu dira à Noé : “Vous serez un sujet de crainte et d’effroi pour tout animal de la terre, … tout oiseau du ciel, … tous les poissons de la mer: ils sont livrés entre vos mains. Tout ce qui se meut et qui a vie vous servira de nourriture: je vous donne tout cela comme l’herbe verte.”[16].
Mais cet état de fait n’est pas définitif, puisque le prophète Esaïe affirme que dans le monde restauré, à la fin des temps : “La vache et l’ourse auront un même pâturage, leurs petits un même gîte; et le lion, comme le boeuf, mangera de la paille. Le nourrisson s’ébattra sur l’antre de la vipère, et l’enfant sevré mettra sa main dans la caverne du basilic. Il ne se fera ni tort ni dommage sur toute ma montagne sainte”[17].
Le chapitre 8 de la lettre de Paul à l’église de Rome nous rapporte qu’un profond soupir monte de toutes les créatures qui attendent la fin de l’esclavage des puissances de mort et de néant à l’oeuvre dans ce monde (Romains 8.19-22)[18].
Certains des textes cités font débat quant à leur interprétation. Néanmoins, ils laissent à penser, que le projet du Dieu de la Bible est qu’un jour, l’ensemble de la création soit restauré, et entre dans la réconciliation et la Paix promises par Jésus ! Et cette promesse de réconciliation universelle inclut, bien entendu, le règne animal.
Aurélien Bloch, 2022
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Notes :
- L’écologie profonde accorde à la Nature une valeur intrinsèque, extra humaine, fondée sur le concept du grand Soi de la Nature. Selon cette théorie, la norme supérieure et le but ultime de notre éthique devrait être la réalisation de ce grand Soi, Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cologie_profonde
- L’antispécisme est un courant de pensée philosophique et moral rejetant toute forme de discrimination et de domination des animaux humains sur les animaux non-humains, sur la base du critère de l’espèce. Pour les antispécistes, tous les animaux – humains compris – possèdent une même capacité à ressentir, ou sentience, Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Antisp%C3%A9cisme
- Jonas Hans, Le Principe responsabilité – collection « Passages », Paris, Éditions du Cerf, 1990, p.34.
- Jonas, p.31-32.
- La Bible, livre de la Genèse, chapitre 1 versets 4, 10, 12, 18, 21, 25, 31.
- La Bible, livre des Psaumes, chapitre 145 verset 10.
- La Bible, livre des Psaumes, chapitre 19 verset 1.
- La Bible, Lettre de Paul aux chrétiens de Rome, chapitre 1, verset 20.
- La Bible, livre de l’Apocalypse, chapitre 11 verset 18.
- La Bible, livre de la Genèse, chapitre 2 versets 19-20.
- Guillaume Astrid, in Droit Animal, Éthique & Sciences, num. 102, http://www.fondation-droit-animal.org/102-le-mot-sentience-entre-dans-le-larousse-2020/
- La Bible, Evangile selon Matthieu, chapitre 6 verset 26.
- La Bible, livre du Deutéronome, chapitre 5 verset 14.
- La Bible, livre de la Genèse, chapitre 1 verset 29.
- La Bible, livre de la Genèse, chapitre 6 versets 11-12.
- La Bible, livre de la Genèse, chapitre 9 versets 2-3.
- La Bible, livre du prophète Esaïe, chapitre 11 versets 7-9.
- La Bible, Lettre de Paul aux chrétiens de Rome, chapitre 8, verset 19–22, version Parole Vivante :“Aujourd’hui, une profonde nostalgie étreint toutes les créatures. Toute la création attend avec un ardent désir l’arrivée de ce jour où Dieu manifestera la vraie nature de ses enfants. Car jusqu’à ce jour, la création est livrée au pouvoir du néant : tout dépérit et meurt.. lle n’est pour rien dans cet état de choses. C’est contre son gré, sans aucune faute de sa part, mais par solidarité avec celui qui a failli – l’être humain -, qu’elle vit ces choses. Elle garde néanmoins un espoir : elle aussi sera délivrée un jour de son asservissement aux puissances de mort ; la tyrannie des perpétuels changements et les décadences inéluctables cesseront, et elle connaîtra la liberté dont les enfants de Dieu glorifiés jouiront un jour. Nous le savons bien, en effet : jusqu’à présent un profond gémissement monte de la création. Oui, tous les êtres soupirent et souffrent dans une sorte de travail d’enfantement universel jusqu’à ce qu’un monde nouveau soit né.”