En ce début de XXIè siècle, nous avons une chance formidable comparés à tous ceux qui nous ont précédés : nous pouvons avoir accès à des milliards d’informations en quelques secondes. Celui qui veut se cultiver peut s’en donner à cœur joie sur à peu près tous les sujets et à moindre coût. Cependant, il y a un problème qui se pose à nous : que faire de toute cette connaissance ? C’est bien beau d’être bombardé de données intéressantes mais encore faut-il savoir comment les traiter ! Une information brute ne vaut pas grand-chose ; il faut la vérifier, la mettre en perspective, l’analyser, la comparer aux autres points de vue, etc. Si on n’a pas la bonne méthodologie, on risque fort de se fourvoyer dans l’erreur ou pire, dans une malhonnêteté intellectuelle qui va nous pousser à ne croire que ce qui nous arrange.
Le travail de Jérôme Prieur et Gérard Mordillat est un premier exemple très frappant qui nous appelle à la prudence. Ces 2 réalisateurs et écrivains ont beaucoup fait parler d’eux, entre autres, grâce à leurs différentes séries (d’une dizaine d’émissions à chaque fois) diffusées sur Arte : Corpus Christi en 1997, Les Origines du Christianisme en 2003 et L’Apocalypse en 2008. La manière de faire a l’air sérieuse : de très nombreux spécialistes du christianisme et du judaïsme se succèdent pour apporter leurs lumières sur les écrits bibliques. Et comme ils sont issus d’universités prestigieuses, qu’il y a une grande diversité tant au niveau des disciplines scientifique que des confessions religieuses, qu’il y a de belles illustrations visuelles et une voix off qui fait de lumineuses transitions, on se dit que, sur une chaîne aussi sérieuse qu’Arte, on a obligatoirement affaire à une excellente émission de vulgarisation scientifique. En plus, pour des français à tendance anticléricale, la thèse globale est très séduisante : l’Église a déformé le message de Jésus, il faut donc retrouver le Jésus vraiment historique, démythifié, en lisant « entre les lignes » de la Bible. D’ailleurs les 3 séries ont fait de très bonnes audiences pour la chaîne franco-allemande et les « livres-remix » qui ont suivi ont confirmé ce succès.
Mais voilà que des critiques affirment que derrière cette poudre aux yeux télévisuelle se cacherait en fait de nombreuses erreurs historiques, une manipulation des données, un habile montage qui saucissonne les interventions des spécialistes sans que l’on sache quelle question leur était vraiment posée au départ, une orientation de leur propos grâce à la voix off pour que tout colle avec une démonstration résolument anti-chrétienne. Jean-Marie Salamito, professeur d’histoire du christianisme antique à l’université Paris IV-Sorbonne, a même écrit un pamphlet bien corrosif, Les Chevaliers de l’Apocalypse, pour contester le travail de Prieur et Mordillat au sujet de l’Apocalypse.
Mais monsieur Salamito fera aussi partie du second exemple puisqu’il ne s’est pas arrêté là dans sa volonté de pourfendre ceux qui utilisent l’histoire ancienne pour corroborer leurs thèses : il a aussi écrit Monsieur Onfray au pays des mythes afin de réfuter les affirmations hallucinantes du célèbre athée telles que l’indémodable « Jésus n’a pas existé » ou encore le convenu « L’empereur Constantin a imposé le christianisme par la force ». Il a beau citer des faits, des sources et utiliser sa rhétorique habituelle, le philosophe n’est pas plus historien qu’il n’est un disciple de Jésus ! Le professeur d’histoire à la Sorbonne dénonce donc non seulement le manque de rigueur méthodologique mais aussi la malhonnêteté intellectuelle, au service de la haine du christianisme de M. Onfray. Là encore, ce n’est pas parce qu’on a accès au mégaphone médiatique qu’on a raison.
Dernier exemple, celui du médiatique archéologue Israël Finkelstein auteur de La Bible dévoilée. Sa thèse est que les patriarches et Moïse n’ont jamais existé, leur histoire fut inventée quand le royaume de Juda voulu se fabriquer un passé glorieux. Selon lui, il y a trop d’anachronismes dans les récits, il n’y a aucune trace archéologique de l’Exode, aucune mention d’Israël dans les récits égyptiens… l’Exode a donc été « inventé » au VIe s. avant J.C. (alors qu’on estime que l’histoire s’est passée au XIIe s. avant J.C.). Ainsi il remet profondément en cause la chronologie biblique traditionnellement admise. Son livre, mettant en doute la véracité biblique s’est très bien vendu, on le voit régulièrement à la télé mais… ses thèses sont contestées par l’immense majorité de ses collègues archéologues et historiens ! Pour information ou rappel, dans la recherche scientifique la personne seule qui a raison contre tous doit au minimum appeler à la grande prudence. Le problème, comme souvent, est que cette communauté de chercheurs est par définition pondérée et préfère utiliser son temps à vérifier les informations méthodiquement que fanfaronner devant les journalistes. Elle intéresse donc très peu les médias qui préfèrent mettre en avant des théories plus extraordinaires… et fausses. Car quand on affirme des choses qui ne sont pas étayées par des découvertes probantes ou des arguments convaincants, quand on proclame des semi-vérités en “oubliant” de préciser qu’on est davantage dans l’opinion que dans la science on pratique tout bonnement la tromperie.
Moralité : que le discours vous arrange ou vous dérange, ne le prenez jamais pour parole d’évangile. Évaluez la fiabilité des sources et privilégiant ceux qui parlent dans leur domaine de compétence, éprouvez les arguments en commençant par rechercher le consensus scientifique sur un sujet et méfiez-vous de ceux qui parlent trop fort, avec une assurance trop affirmée. Recherchez la vérité et n’en ayez pas peur. En histoire, elle a toujours servi la cause biblique.
Yohann Tourne, 2023