Derrière cette question se trouve une certaine vision du monde et de Dieu qui regagne en popularité, que l’on appelle en termes techniques le panthéisme : tout est Dieu. Le monde est un tout, tout est interconnecté. Le matériel et le spirituel ne font qu’un. Le monde entier est Dieu, Dieu est l’âme et l’harmonie du monde. La vie, l’amour, la beauté sont des expressions du divin disséminé dans le monde.
Une attente réelle
Cette vision traduit une aspiration profonde de l’homme. Nous avons le désir d’être unis à ce monde, d’appartenir à la nature. Nous sentons le besoin de trouver notre place dans le monde. Comme le mentionne Albert Camus[4. Écrivain et philosophe agnostique du XXe siècle.], nous souhaitons nous trouver unifiés au monde, mais le simple fait de porter un jugement sur ce point nous en distingue.
Car si […] nous affirmons avec Parménide la réalité de l’Un, nous tombons dans la ridicule contradiction d’un esprit qui affirme l’unité totale et prouve par son affirmation même sa propre différence et la diversité qu’il prétendait résoudre. [2. Albert Camus, Le mythe de Sisyphe : essai sur l’absurde (Gallimard, 1969), p. 32–33.]
C.S. Lewis[5. Professeur de littérature et écrivain du XXe siècle, surtout connu pour ses chroniques de Narnia et ses ouvrages de présentation et de défense de la foi chrétienne.] mentionne aussi ce sentiment :
Quelques minutes durant nous avons eu l’illusion d’appartenir à ce monde. Maintenant nous nous réveillons pour trouver qu’il n’y a rien de tel. Nous avons été de simples spectateurs. La Beauté a souri, mais pas pour nous accueillir ; son visage était tourné dans notre direction, mais pas pour nous voir. Nous n’avons pas été acceptés, accueillis, ou inclus dans la danse[1. Clive Staple Lewis, ‘The weight of glory’, Theology (1941), Consulté en format PDF sous :www.verber.com/mark/xian/weight-of-glory.pdf , p. 7, ma traduction.].
Voir une harmonie de toutes choses et l’appeler Dieu est une des manières de répondre à ce besoin d’unité et d’appartenance. Les philosophes stoïciens grecs voyaient ainsi l’ordre du monde et la vie en accord avec la nature comme bien suprême, et beaucoup des sagesses de l’Orient s’y rattachent à divers degrés.
Dieu, personnel ou impersonnel ?
Il faut cependant être attentif à ce que cette vision n’est pas. On y utilise le terme Dieu, mais il faut se rendre compte que ce n’est pas dans le même sens que dans une vision monothéiste. Dans les monothéismes, Dieu est un personne distincte du monde, qui peut agir sur lui et avoir une opinion sur ce qui s’y passe. Dans le panthéisme, Dieu est une force, il est la somme des éléments du monde, il est essentiellement impersonnel. C’est même un abus de langage de dire “il”, il faudrait dire “cela”. Le “Dieu” du panthéisme ne va pas venir à votre aide, il ne peut que vous aider à comprendre que tout est bien dans l’harmonie universelle. Le Dieu de la Bible est une personne qui parle, avec qui la relation a un contenu. On connait le Dieu chrétien comme une personne, tandis que la force du panthéisme ne se connaît que par le sentiment mystique, par un sentiment d’inclusion dans le monde plus que par une véritable relation. C’est pourquoi aussi le panthéisme conduit à pratiquer surtout la méditation, là où les monothéisme ont une pratique de prière, où l’on s’adresse à Dieu en tant que personne (sans que la méditation en soit nécessairement exclue).
Qui sommes nous ?
Le panthéisme a aussi des implications pour la personnalité humaine. Le panthéisme sera naturellement critique de ce qui crée une distance entre nous et le monde, notre individualité est presque par définition un élément qui nous distingue du restant du onde. Pour atteindre la réunion avec le monde, il faudrait donc renoncer à être une personne bien définie pour pouvoir fusionner avec le monde et sa dynamique. Quelque part, au bout de la route, on peut trouver le néant, la non-existence comme idéal.
Dans la foi chrétienne, notre identité personnelle est voulue par Dieu. Par contre, la séparation d’avec Dieu, l’individualisme, l’égoïsme sont tous des mauvaises choses que la Bible reconnait comme telles. Le Dieu de la Bible est effectivement la source de toute vie ; “en lui nous avons la vie, le mouvement, et l’être[3. Actes des apôtres, ch. 17, v. 28.].”. L’homme a été créé pour vivre en harmonie avec le monde, sous la conduite de Dieu. Mais dans ses origines, il a choisi de se séparer de Dieu, se coupant de la source de toute unité véritable. Le sentiment d’être étranger au monde et le besoin d’y appartenir sont réels. Nous soupirons après l’union avec ce monde, mais nous ne pouvons ne retrouver notre juste place envers le monde qu’en retrouvent notre place face à Dieu. La solution n’est cependant pas dans la fusion, mais dans la relation. Dieu lui-même est une unité formée de trois personnes, parfaitement unie dans l’amour, bien distincte dans leur personnalité. L’idéal chrétien est celui de l’amour, qui dépasse les séparation sans abolir les différences. Dieu veut nous réconcilier à lui et que nous soyons en relation avec lui, mais il veut aussi que nous restions nous-mêmes ; Non ! Que nous devenions de plus en plus nous même. L’unité dans la diversité est le but à atteindre, non pas la fusion de tout en une seule entité indifférenciée.
Je suis très conscient de ne pas avoir tout dit sur le panthéisme, sur les arguments qui peuvent exister en sa faveur ou sa plausibilité générale. J’ai cherché plus simplement à montrer en quoi sa vision, son idéal, se distinguent de ceux de la foi chrétienne. On peut préférer la vision panthéiste ou la trouver plus crédible, mais il importe de ne pas manquer les différences, de ne pas croire qu’une force impersonnelle est Dieu au même sens que la foi chrétienne l’entend, de ne pas manquer les implications du panthéisme sur notre personnalité.
2 réflexions sur « Dieu n’est il qu’une force qui anime toutes choses ? »