Authentiquement nu ?

L’apparition de Philippe Katerine déguisé en Dionysos bleu a été la cerise sur le gâteau d’un tableau controversé. On s’imagine aisément les réactions des téléspectateurs qui ne connaissent pas la réputation farfelue de Katerine, devant ce qui est à coup sûr, le moment le plus surprenant de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024.

En tout cas, le tableau sur la thématique de la diversité en a choqué plus d’un, y compris le milliardaire américain Elon Musk, qui a exprimé sa colère sur X ; un « honneur » [1] pour Katerine qui accueille sans problème la polémique.

L’art du détournement

En fait, qu’on soit d’accord ou non, la cérémonie d’ouverture s’inscrit dans une longue tradition dans l’art français : la subversion parfois choquante des codes et des canons de la culture française. Un grain de folie qui évidemment ne plaît pas à tout le monde, mais qui témoigne d’une certaine interprétation de la liberté, de l’égalité et de la fraternité : la liberté des mœurs, d’être « authentique » et de transgresser les traditions, de mettre sur un même pied d’égalité l’héritage culturel autant chrétien que païen, le tout dans une grande fête exubérante.

En se basant sur les dires des organisateurs et en repensant au tableau qui fait tant couler d’encre virtuelle, la référence à la Cène n’était sans doute pas préméditée. Certes il y a une ressemblance avec le célèbre tableau de De Vinci, mais les poses des différents danseurs ne correspondent guères à celles de la Cène. En tout cas, il me semble que la référence aux festins de Dionysos est plus claire, en prenant la performance finale de Katerine comme clé de lecture. Le côté festif et excessif, l’esthétique à la limite du camp et du kitsch, la présence de drag-queens et de personnes à l’expression de genre fluide, les danses, tous ces éléments s’accordent davantage à un festin de Dionysos qu’au dernier repas de Jésus ! (à l’heure ou j’écris ces lignes, je viens d’apprendre que les organisateurs se sont publiquement excusés d’avoir pu choquer, la référence à la Cène n’était pas intentionnelle [2]). Quoi qu’il en soit, les organisateurs auraient tout de même pu prédire le fait que l’iconographie de la Cène est bien plus connue du grand public que la référence au dieu grec de la luxure et du vin. La polémique était prévisible. Si l’on voit un regain d’intérêt pour la mythologie grecque, au néo-paganisme et aux spiritualités alternatives dans la société et dans les arts, il n’en demeure pas moins qu’une grande partie de la population pense encore que la culture chrétienne prédomine.

Interviewé le lendemain de la cérémonie, Philippe Katerine explique sa démarche ainsi : « J’ai pensé à ma chanson car à l’origine, en Grèce, les athlètes étaient nus », « Cette chanson va vers la paix. L’homme nu est par essence inoffensif, car on ne peut pas cacher d’arme. [3] » Qu’on soit d’accord ou pas avec la forme et le fond de la performance, on peut quand même dire qu’il y a une démarche artistique derrière. En tout cas, cela vaut la peine de se pencher sur la question, et comme à notre habitude sur ce site, on va essayer de voir comment la foi chrétienne entre en dialogue avec ce « statement » artistique.

La nudité, signe d’authenticité ?

D’abord, qu’est-ce que cela dit des présupposés de Katerine ? D’une part, par la référence aux origines des jeux olympiques, Katerine montre qu’il y a une recherche de retour aux sources ; retour aux sources qui se traduit aussi par la nudité qui n’est pas sans rapport avec l’innocence et la nudité originelle d’Adam et Ève de la Genèse. Dans l’inconscient populaire et dans les mots de Katerine, on retrouve en effet l’idée que la nudité représente une forme d’innocence, de simplicité, de vulnérabilité partagée : effectivement on ne « peut pas cacher d’armes » sur soi quand on est nu. Dans un sens la nudité renvoie à notre égalité : on ne peut pas projeter une image de soi grâce à nos vêtements ou tout autre accessoire qui affirme notre identité, nos goûts, notre classe sociale. Finalement, privé de ses artifices, la nudité serait l’expression ultime de l’authenticité.

Mais de quelle authenticité s’agit-t-il ? Une authenticité « par essence inoffensive », selon Katerine.

L’anthropologie biblique ne peut être qu’à moitié d’accord avec cette vision de l’humanité. Si l’homme et la femme ont été effectivement créé nu et sans péché d’après le récit de la Genèse, leur qualité d’image de Dieu dans toute sa perfection morale et éthique a été corrompue par l’entrée du péché dans le monde, au chapitre 3 de la Genèse. C’est d’ailleurs à partir de ce moment qu’Adam et Ève ressentent pour la première fois la honte et veulent cacher leur nudité. Par le vêtement, ils tentent de cacher leur vulnérabilité l’un devant l’autre et cherchent à se protéger. L’anthropologie biblique rend compte d’une double réalité de la condition humaine : avec le péché, l’humanité reste à l’image de Dieu, mais reflétée par un miroir déformant. Nous sommes encore capables de faire des choses extraordinaires et de faire le bien ; cependant notre notion du bien et du mal et notre opinion de nous-même sont déformées, à tel point qu’on le veuille ou non, nous sommes tous capables de commettre le pire si on est placé dans les « bonnes » conditions.

Le tableau que présente le festin de Dionysos pousse à embrasser une authenticité où notre apparence et nos attitudes cherchent à manifester ce qu’on perçoit comme étant notre « vrai » nous, de s’assumer joyeusement. Mais cela présuppose que le vrai nous est principalement bon et qu’il faut le célébrer.

La Bible, en constatant la nature profondément corrompue de l’homme, nous pousse plutôt à chercher la solution ailleurs. Dans la vision biblique, la solution finale au problème du péché (c’est-à-dire le rejet et la désobéissance aux commandements divins) et du mal est apportée par Dieu lui-même par le sacrifice de Jésus à la croix. Placer sa confiance en ce Jésus crucifié revient à admettre qu’on ne peut régler le problème nous-même, que tous nos efforts ne suffisent pas à compenser nos fautes, et enfin à reconnaître que c’est Jésus qui le fait pour nous. En fait, être plus authentiquement soi passe par un renoncement de son propre égo ; cela nous coûte ! Ce renoncement ne consiste pas simplement à se mettre à nu, mais aussi de « se revêtir de Christ » (Galates 3.27). Dans la vision biblique, la liberté, l’égalité et la fraternité se trouve réalisé pleinement en Christ : « Il n’y a plus ni Juifs ni non-Juifs, il n’y a plus ni esclave ni homme libre il n’y a plus ni homme ni femme. Unis à Jésus-Christ vous êtes tous un. » (Galates 3.28). Quand on place sa confiance en Jésus, on est associé à sa perfection au regard de Dieu ; et on est invité à imiter l’imiter dans notre comportement, lui qui a su être authentiquement et parfaitement à l’image de Dieu puisqu’il est lui-même Dieu fait homme.

Philippe Katerine aurait dit suite à la polémique que « Ce qu’il y a de beau dans la foi chrétienne, c’est le pardon. [4] » Et il a vu juste ! C’est parce qu’on est pardonné qu’on peut décider à notre tour de pardonner et d’imiter Jésus.

Jésus, un exemple d’humilité

Dans sa lettre à l’Église de Philippe (et non à Philippe Katerine), l’apôtre Paul exhorte les croyant à prendre exemple sur leur sauveur :
Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus Christ, lequel, existant en forme de Dieu, n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu, mais s’est dépouillé lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes; et ayant paru comme un simple homme, il s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix.

Philippiens 2.5-8

Suite à cet exposé, je ne peux qu’être attristé et demander pardon pour la façon dont les chrétiens – moi-inclus – avons pu réagir après la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. La violence de certaines réactions, et mes propres réactions de dédain en réponse à ces derniers sont en totale contradiction avec l’esprit de l’épisode de la vie de Jésus qui aurait été parodié. La Cène devrait nous rappeler toute l’humilité, l’abnégation et l’amour de Jésus pour ses disciples. Jésus a accueilli à sa table des gens de tous horizons sociaux, des gens rejetés par la société, et même celui qui le trahira. L’éthique chrétienne ne nous invite pas à faire la fête comme Dionysos, mais elle nous invite à témoigner par notre comportement de l’humilité et de l’accueil dont nous avons nous-même été au bénéfice en Jésus.

Joanna Schlake, 2024


Notes

  • [1] Philippe Katerine sur franceinfo

  • [2] Cérémonie d’ouverture des JO 2024 : l’organisation se dit « vraiment désolée » si « des gens ont été offensés »

  • [3] Philippe Katerine sur franceinfo

  • [4] Philippe Katerine : « Ce qu’il y a de plus beau dans la foi chrétienne, c’est le pardon »

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