Être étudiant est synonyme de côtoyer des personnes de tous les horizons et milieux. J’ai donc des occasions de discuter de tout avec mes camarades.. philosophie, politique, religion.. Dernièrement, nous avons échangé autour de la famille, et mes interlocuteurs avaient une vision que je trouve intéressante d’approfondir, car elle reflète le point de vue de notre société occidentale actuelle.
Évolution historique du cadre familial
Mais d’abord, comment comprendre le modèle familial actuel sans retracer ce qu’il fût autrefois ? Si la famille était polynucléaire au Moyen-Âge, c’est-à-dire comportait l’entourage élargi des personnes (comme les cousins), le modèle de la communauté villageoise décline progressivement au XIXe siècle. La révolution industrielle déclenche l’exode rural, et pousse les enfants à partir travailler dans les villes puis fonder leurs propres familles. Émerge donc le modèle de la famille nucléaire, qui repose sur les deux parents et leurs enfants.
Ce modèle familial valorise l’autonomie et l’indépendance des membres car il permet aux parents de décider de l’éducation des enfants (sans l’interférence d’autres membres) et facilite la mobilité, notamment celle des enfants qui sont moins sous pression pour garder des liens et peuvent donc partir pour le travail ou les études. Néanmoins la famille nucléaire peut aussi générer un isolement social, puisqu’elle peut entraîner une rupture de liens; découle de cela un manque de soutien social, en plus d’un affaiblissement de solidarité intergénérationnelle. Après la Seconde Guerre mondiale, ce modèle familial s’impose en Occident, et devient la référence pour les populations.
Actuellement, d’autres modèles familiaux concurrencent la prépondérance de la famille nucléaire et redéfinissent la normalité. Ce sont les familles monoparentales, recomposées, les unions libres.. Si ces relations sont tout aussi légitimes que la famille nucléaire, leur caractère individualisé tranche avec la vision communautaire qui prévalait autrefois.
En effet aujourd’hui l’individualité prime sur la communauté familiale; on est capable de survivre sans forcément être dépendant de ses parents ou de notre famille immédiate.. Alors que l’individu se définissait par rapport à sa famille autrefois, aujourd’hui il se définit lui-même. La famille ne joue plus un rôle fondamental sur l’identité de la personne, et son rôle devient caduc. On peut donc se demander si elle a toujours un intérêt.. surtout si elle est vécue comme un véhicule d’oppression.
Vivre la famille, entre émancipation et désillusions
En effet j’ai entendu dire par mes camarades que “la famille est l’une des racines de l’oppression de genre”. Ils dénoncent les rapports hiérarchisés de la famille traditionnelle, évoquent les nombreux cas de femmes battues.. en effet près de 70% des divorces sont demandés par les femmes aujourd’hui, ce qui montre que le mariage et la famille peuvent les faire souffrir. En plus de cela, on ne peut ignorer le délitement de l’engagement actuel. Les couples libres sont nombreux, on parle de “situationships”, de polyamour… mais en parallèle on entend parler de plus en plus d’un isolement relationnel chez les individus, d’une épidémie de la solitude qui se répand dû à des relations peu profondes.
C’est une situation paradoxale car bien que la famille réponde à des besoins relationnels profonds indéniables ainsi qu’à une sécurité, elle peut être vue comme une instance oppressive (que ce soit dans les familles traditionnelles ou mêmes décomposées). Ainsi la soif de liberté est raisonnable et le calcul semble montrer qu’on gagne plus à s’émanciper de ses liens qu’à les garder.
Bilan : nous vivons donc une situation où la famille ne constitue plus un pilier indispensable à la survie de l’individu, et où les personnes ont plus d’indépendance et de liberté. Ce désir d’indépendance se manifeste à travers la montée des relations désengagées, par les divorces plus fréquents..etc. Or on ne peut ignorer la solitude qui se profile en arrière-plan, étant un reflet de relations fragiles et éphémères.
La famille selon l’Evangile : une alternative divine aux liens terrestres
Dans la Bible, la famille est capitale pour Dieu, qui ordonne au chrétien d’honorer son père et sa mère afin qu’il soit heureux.
Pourtant, dans Matthieu 12:49, lorsque Jésus est interrompu par un message disant que sa mère et ses frères souhaitent lui parler, il réplique: “Qui est ma mère, et qui sont mes frères?”. Cette réplique peut heurter car elle remet en cause l’importance traditionnelle donnée à la famille, dans la culture de l’époque. Or elle est lourde de sens car elle montre que Jésus valorise un autre type de famille que celle régie par les liens de sang. En ce début de ministère, il élargit la notion de famille en mettant l’accent sur la relation spirituelle avec Dieu plutôt que sur la relation biologique. Ce qui unit les membres de sa “famille” que sont ses disciples, c’est leur obéissance à Dieu.
Cette idée clarifie le rôle de “père” que prend Dieu[1] ainsi que les rapports entre les chrétiens, qui se nomment “frères” et “soeurs” entre eux[2]. Comme un père de famille, Dieu entretient une relation avec ses enfants, les aime, les protège, les éduque, les guide.. et comme des frères et sœurs, les chrétiens s’aiment les uns les autres, se soutiennent, vivent en communauté pour obéir à Dieu ensemble.
En effet, ceux qui mettent leur foi en Jésus, Fils de Dieu, ont le privilège d’appeler Dieu père et d’avoir Jésus comme frère aîné[3]. Dans le contexte de la Bible, l’idée de filiation va aussi avec l’idée d’amour, de nom, d’héritage, et Jésus Christ est héritier du Royaume céleste de Dieu; cela implique que les enfants adoptés deviennent eux aussi cohéritiers du Royaume de Dieu, avec Christ. Ils reçoivent les plans glorieux que Dieu a en réserve pour son Fils et ceux liés à lui, puisqu’ils bénéficient de toutes les bénédictions attachées au fait d’appartenir à la famille de Dieu[4].
“Or, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers: héritiers de Dieu, et cohéritiers de Christ, si toutefois nous souffrons avec lui, afin d’être glorifiés avec lui. J’estime que les souffrances du temps présent ne sauraient être comparées à la gloire à venir qui sera révélée pour nous. Aussi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu.”
(Rom 8:17-19) (LSG)
Cela montre donc que les liens entre chrétiens vont au-delà des simples rapports biologiques, et s’étendent à tous les frères et sœurs dans la foi.
En effet, l’engagement à Dieu et l’appartenance à lui dépassent les liens terrestres, biologiques. Nous revenons donc à notre question initiale: quel est l’intérêt de la famille? Avons-nous besoin d’une famille? Lors de sa conversion, si le chrétien est d’emblée adopté dans la famille de Dieu qu’est son église locale, cela fait partie de sa nouvelle identité. Intégré à cette communauté, le chrétien apprend à vivre avec d’autres frères et sœurs dans l’harmonie. Ainsi les frères et sœurs sont appelés à prendre soin les uns des autres, de s’aimer, à passer du temps dans la communion fraternelle, grandir ensemble, se fortifier..
Cette nouvelle famille regroupe différentes générations, ethnies, couches sociales : voici l’Église. Elle constitue un fondement de diversité et de richesse qui sert à édifier les différents membres, et cela dans l’objectif de glorifier Dieu.
Ainsi l’Évangile montre comment faire mieux, et non pas comment faire sans. L’Eglise est une meilleure solution que l’isolement issu du rejet de la famille, mais aussi une meilleure solution que la potentielle oppression de la famille terrestre, puisque ses relations se fondent sur un amour divin, inébranlable. Ainsi Jésus nous offre une émancipation des relations terrestres imparfaites; c’est une émancipation durable, une réelle alternative à nos souffrances.
Donc bien que de nombreuses familles défaillantes composent notre société et touchent les chrétiens comme les non chrétiens, ceux qui mettent leur foi en Jésus Christ ont la chance d’appartenir à une famille supplémentaire, divine, qui dépasse les limites humaines. A l’opposé des liens distendus et défectueux, qui non seulement favorisent l’individualisme – érigé en valeur – mais aussi accentuent la solitude et le malheur, les chrétiens ont besoin les uns des autres pour s’édifier et grandir dans la foi. Ils ne peuvent se débrouiller seuls, sans soutien. L’évangile se présente comme un espoir face aux difficultés familiales terrestres, et comme une alternative d’amour.
Découlent de cette bénédiction aussi des responsabilités, car chaque membre occupe une fonction et exerce des responsabilités pour le bien-être de toute la famille. Contrairement à la famille dysfonctionnelle, les membres assument leur rôle et prennent plaisir à le remplir. Chacun apporte ses dons pour le bénéfice de la communauté. Puisque cette Église est aussi composée de personnes humaines et imparfaites, les relations sont constamment à travailler, comme dans une famille humaine. L’Eglise attend encore le retour de son Sauveur, et présente parfois un mauvais témoignage de l’Evangile. Néanmoins sa beauté réside dans sa volonté à continuer à grandir et à se corriger, et ses membres restent unis. Ainsi au lieu de l’indépendance, il y a interdépendance, lien, soutien.
“Ainsi donc, vous n’êtes plus des étrangers ni des gens de passage; mais vous êtes concitoyens des saints, membres de la famille de Dieu”
(Eph 2:19) (LSG)
Par sa mort et sa résurrection, Jésus-Christ réunit et réconcilie les nations; elles appartiennent désormais à la famille céleste, plus glorieuse et extraordinaire que celle de la simple famille biologique. Par conséquent, devant la famille humaine on peut parfois être amené à se demander : Quel est l’intérêt? Est-ce que j’en ai besoin?
Mais devant la famille divine, le chrétien est amené à se dire : Quelle chance ! Je suis enfant de Dieu, cohéritier du Royaume céleste avec Christ. Quel beau cadeau que Dieu me donne, gloire au Roi des Rois !
Sara H.
Sources et liens annexes
[1] Es 64 : 8
[2] Gal 3:25-26 / Gal 6:10 / Jn 3:2-3
[3] He 2:10-11
[4] Eph 1
Rotman, Charlotte. “Le Divorce Est Une Revendication Féminine.” Libération, 15 Nov. 2011, www.liberation.fr/vous/2011/11/16/le-divorce-est-une-revendication-feminine_774970/. Accédé le 9 Fev. 2025.
Jean-Luc. “Enquête : 7 Millions de Français Confrontés à La Solitude – Fondation de France.” Fondation de France, 2 Dec. 2020, www.fondationdefrance.org/fr/les-solitudes-en-france/2021-7-millions-de-francais-confrontes-a-la-solitude-decouvrez-notre-enquete-annuelle. Accédé le 9 Fev. 2025.
Raybaud, Alice. “Une “Épidémie de Solitude” Se Répand Chez Les Jeunes.” Le Monde.fr, Le Monde, 8 Oct. 2024, www.lemonde.fr/campus/article/2024/10/08/une-epidemie-de-solitude-se-repand-chez-les-jeunes_6346484_4401467.html.
“L’Église Comme Famille de Dieu et Ses Exigences | Catéchèse & Catéchuménat.” Catéchèse & Catéchuménat, 4 Feb. 2019, catechese.catholique.fr/outils/conference-contribution/302098-leglise-famille-de-dieu-exigences/ Accédé le 10 Fev. 2025.
“L’Eglise : La Famille de Dieu.” EMCI TV, 2025, emcitv.com/page/texte/l-eglise-la-famille-de-dieu-1348.html Accédé le 10 Fev. 2025.
Monard Jacques-André. “Différents Aspects de La Relation Du Vrai Croyant Avec Dieu.” Bibliquest.net, 2025, www.bibliquest.net/JAM/JAM-Dieu_connu_comme_Pere.htm. Accédé le 19 Fév. 2025.
Étienne Omnès. “La Famille Comme Unité Politique de Base – Althusius – Par La Foi.” Par La Foi, 10 Nov. 2019, parlafoi.fr/2019/11/10/la-famille-comme-unite-politique-de-base-althusius/ Accédé le 19 Fev. 2025.