Je ne sais pas vous, mais ces dernières années les loisirs créatifs sont beaucoup plus présents sur les réseaux sociaux comme façon de prendre soin de sa santé mentale. Si on m’avait dit quand j’étais petite que les livres de coloriages se vendraient super bien auprès des adultes, j’aurais été très étonnée. Pendant le confinement, les pratiques artistiques et artisanales sont devenues très populaires. Sur les réseaux sociaux, l’esthétique du “cottage core” en a fait rêver plus d’un depuis son studio étudiant. Qui ne voudrait pas imiter ces jeunes femmes, qui par leurs vêtements et leurs activités champêtres, ont vendu le fantasme façon Petite Maison dans la Prairie, d’aller vivre dans un cottage anglais, de cultiver ses propres fraises, et de faire de la pâtisserie dans une jolie robe bouffante à fleurs.
Mais prenons du recul sur ces exemples de la culture pop pour réfléchir au lien entre santé mentale et Art avec un grand A. L’artiste ne cherche pas à simplement reproduire le réel ou à fabriquer des objets utilitaires. Il cherche à montrer le monde tel qu’il le perçoit. Un peu comme un prophète, il montre ce qui est ordinairement caché, et parfois même il montre le monde tel qui va être, ou tel qu’il devrait être.
Peut-être que c’est pour cela que les stéréotypes qu’on a sur la figure de l’artiste et du prophète se ressemblent : des gens lunaires, visionnaires, déprimés ou torturés, passionnés ou encore mystiques. Des gens comme Van Gogh, au génie incompris en son temps, à la santé mentale plus que fragile. Tragiquement, ce sont sûrement ses tourments qui l’ont poussé à produire des tableaux aussi magnifiques. Un peu plus tard, le cubisme de Picasso et l’Urinoir de Marcel Duchamp ont annoncé l’avènement du postmodernisme : un monde où tout est relatif, où les institutions et les traditions sont remises en question, où même l’optimisme de l’humanisme n’a plus de sens. Si ces avant-gardes peuvent nous paraître vraiment bizarres, ils sont en fait pas si différents de nous. Par leur art, ils cherchent à trouver une place et une identité dans un monde qui n’a peut-être pas de sens, et remettent en question des institutions en faillite.
L’art est donc une sorte de miroir, qui renvoie à l’artiste, la société, mais aussi le regadeur* : on peut en apprendre beaucoup sur une personne à travers sa compréhension d’une œuvre d’art. Mais alors, qu’est-ce que l’Art avec un grand A nous apporte sur la question de la santé mentale ?
Je pense que l’art est profondément cathartique : ça fait du bien d’exprimer ce qu’on pense, et ça fait du bien de voir qu’on est pas seul à penser et vivre les mêmes choses ! Un peu de la même façon que d’écouter de la musique triste quand on est triste fait du bien. De plus, l’expérience de la beauté (ou au contraire, de quelque chose de très laid) a un côté transcendant. La beauté nous émerveille, et pointe vers quelque chose de plus grand que nous ; la laideur nous répugne, et pointe vers la laideur du monde, auquel on n’a pas envie de penser. Dans la perspective chrétienne, cela prend tout son sens : la beauté nous pointe vers la beauté ultime de Dieu, vers un avenir glorieux avec lui. Mais la laideur nous renvoie au mal qui entache le monde et nos propres cœurs, auquel on ne veut pas toujours nous confronter. L’art sait très bien nous montrer la beauté dans les choses insignifiantes et ordinaires, et elle sait aussi très bien nous montrer la vanité et la déchéance de la condition humaine. Mais rares sont les œuvres qui nous donnent un message d’espoir.
J’ai fait mes études aux Beaux-Arts, et ma pratique artistique m’a permis d’explorer mon identité culturelle à travers la question de la langue, de la colonisation et de mon héritage familial. C’était cathartique, et ça m’a poussé à réfléchir sur ma propre vie. Je pense que beaucoup d’artistes sont animés par ce désir de continuellement se construire et de comprendre le monde. Mais à la fin de mes études, je me suis rendue compte que je n’avais pas à construire de toute pièce mon identité, ni à donner du sens au monde qui m’entoure. Pour moi, en tant que chrétienne, je trouve tout cela dans ce que dit le Dieu de la Bible. Plus je la lis et je l’étudie, plus je m’émerveille de l’œuvre de l’artiste ultime, Dieu ! Je ne dis pas cela pour dire que l’art ne sert à rien. L’art et la production artistique sont inscrits dans nos gènes, car nous sommes créés à l’image de Dieu. Quoi de plus naturel, alors, que de vouloir créer comme lui, de transformer la pensée intellectuelle en une forme plastique et concrète ?
Pour finir cette courte réflexion sur l’art et la santé mentale, j’aimerais suggérer que l’art ne va pas résoudre le problème du mal dans le monde, ni régler mes questionnements et angoisses existentielles. L’art est plutôt quelque chose qui peut nous pointer vers le Créateur, l’artiste ultime qui donne la vie, le mouvement et l’être (cf. Actes 17.28), et qui seul peut nous apporter un espoir et une identité durable.
*expression de Marcel Duchamp (“c’est le regardeur qui fait le tableau”)
Cette chronique de Joanna Schlake est un extrait du podcast le Comptoir. Écoutez l’intégralité de l’épisode sur Youtube et Spotify