Avez-vous déjà pensé qu’il puisse exister une morale universelle, qui s’applique à tous les hommes, en tout lieu, quelle que soit leur culture ? Peut-on résumer l’essentiel de la morale en une phrase ? Une telle phrase existe-t-elle ? Il semblerait, oui ! Cette phrase, on l’appelle la règle d’or.
- La Règle d’or, une éthique de la réciprocité :
La Règle d’or, on la retrouve formulée dans toutes les religions et toutes les cultures, entre -600 et -500 avant Jésus-Christ [1] :
– Bouddhisme : Udana-Varga 5:18 (environ 500 av. J.-C.) ;
« Ne blesse pas les autres de manière que tu trouverais toi-même blessante. »
– Confucius : (551 – 479 av. JC) ;
« Ce que tu ne souhaites pas pour toi, ne l’étends pas aux autres. »
– Hindouisme : (dans la grande épopée sacrée du Mahabharata, 5:15:17, environ 500 av. J.-C.) ;
« Ceci est la somme du devoir ; ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’ils te fassent. »
– Philosophes de la Grèce antique :
« Ne fais pas à ton voisin ce que tu prendrais mal de lui » – Pittacos de Mytilène (640 – 568 av. J.C.) [2]
« Évite de faire ce que tu blâmerais les autres de faire » – Thalès (624 – 546 av. J.C.) [3]
– Taoïsme :
« Regarde le gain de ton voisin comme ton propre gain, et la perte de ton voisin comme ta propre perte ». – T’ai Shang Kan Ying P’ien
– Islam :
« Aucun d’entre vous ne croit vraiment tant qu’il n’aime pas pour son frère ce qu’il aime pour lui-même. », Hadîth 13 de al-Nawawi – Mahomet (570 – 632).
La Règle d’or a été une source d’inspiration essentielle pour le concept moderne des droits de l’homme, et elle est fondée sur une éthique de la réciprocité : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ».
- Une règle morale qui répond à une conception négative de la liberté :
L’idée d’une règle morale universelle est très attirante, car elle vient confirmer 2 postures auxquelles les gens semblent très attachés aujourd’hui :
Première posture : le libre choix de l’individu. Un libertarien clame : « C’est ma vie j’en fais ce que je veux, même si je deviens malheureux ! »[4] ; et « Ta liberté s’arrête là où commence la mienne » [5], alors, ne marche pas sur mes baskets ! Si toutes les religions et philosophies se résument à éviter de marcher sur la liberté des autres ; alors, mes droits personnels et souverains ainsi que ma liberté individuelle et sacrée sont respectés, et même bien gardés. Tout va bien.
Deuxième posture : la tolérance. Un défenseur de la tolérance affirme : « Même si je ne pense pas comme toi et n’agis pas comme toi, j’accepte que tu penses et agisses d’une façon différente de moi, et je me battrais même pour que ta liberté d’opinion soit gardée intacte » [6]. La tolérance est louable en ce qu’elle permet un « vivre ensemble » respectueux de la liberté d’autrui.
Mais la recherche du bien moral se limite-t-elle à nous affranchir de l’empire de l’autre ? Est-elle réductible à la seule loi de la tolérance, ou à une éthique de la réciprocité ? Et si la véritable liberté morale allait plus loin ? Et si le véritable bien moral consistait à être libre de faire le bien envers autrui ? Voici donc une limite de la Règle d’or : cette règle morale répond à une conception négative de la liberté : la liberté comme une absence de contrainte.
- Liberté positive et amour.
« Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’ils te fassent » est une formule négative. Mais existe-t-il une loi morale positive qui inciterait les humains à faire le bien ? Oui. Et cette formule, on la trouve dans la bouche de Jésus, et retranscrite dans les évangiles. Jésus inverse la Règle d’or en une proposition positive : « Toutes les choses que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pour eux ». Il dit même que cette proposition résume « toute la Loi et les prophètes » (Matthieu 7.12) qui l’ont précédé.
Il existe bien une devise taoiste qui va dans le même sens. Elle affirme : « Regarde le gain de ton voisin comme ton propre gain, et la perte de ton voisin comme ta propre perte ». Mais Jésus va plus loin que cette simple règle de bon voisinage. A une éthique de réciprocité qui paie de retour celui qui nous a fait du bien, et qui attend la récompense lorsque c’est nous qui avons été bienfaisants ; Jésus oppose une règle de non-réciprocité dans l’amour, ou encore une invitation à développer, envers autrui, un amour actif et pro-actif ! Voici quelques exemples :
Invité à un repas, Jésus dit à celui qui l’a invité :
« Quand tu donnes un grand repas, à midi ou le soir, n’invite ni tes amis, ni tes frères et sœurs, ni les gens de ta famille, ni des voisins riches. En effet, ils t’inviteront à leur tour et ils te rendront ce que tu as fait pour eux. Au contraire, quand tu offres un repas de fête, invite des pauvres, des infirmes, des boiteux, des aveugles. Alors tu seras heureux parce qu’ils ne peuvent pas te rendre cela. » (Luc 14.12-14)
Et il dit encore, enseignant sur la montagne, ceux qui sont venus l’écouter :
« Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les collecteurs d’impôts malhonnêtes aussi n’agissent-ils pas de même ? Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens aussi n’agissent-ils pas de même ? Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait. » (Matthieu 5.46-48)
Jésus va donc infiniment plus loin que la Règle d’or. Il nous propose d’aller au-delà d’une liberté négative qui veut seulement s’affranchir de l’Empire de l’autre. La liberté positive de l’Évangile est une liberté de faire le bien, c’est-à-dire : aimer. Il nous est facile d’envisager ce qu’on aimerait que l’on fasse pour nous, mais sommes-nous capables de faire pour les autres et d’aimer les autres, sans rien attendre en retour ? C’est ce que la Bible appelle la grâce : un amour immérité, un amour DIVIN.
- Pourquoi aimer ?
Mais pourquoi nous engager à aimer ainsi ? Et aimer d’un amour pareil, est-ce que cela nous est seulement possible ? Ma réponse : Oui. Oui, mais pas par nos propres forces. Le taoïsme nous propose une pratique de la bonté basée sur le seul sens du devoir [7]; mais Jésus nous invite à un amour concret qui découle d’une relation vivante avec Dieu. Cette relation d’intimité avec Dieu produit en nous une vie intérieure féconde, une vie divine qui nous pousse hors de nous-mêmes pour aller vers mon prochain et l’aimer d’un Amour DIVIN, celui-là même que l’on voit dans la vie de Jésus.
Et ce que Jésus affirme, c’est que lui seul peut nous donner la force d’aimer :
« Une branche ne peut pas donner de fruits toute seule, elle doit rester sur la vigne. De la même façon, vous ne pouvez pas donner de fruits, si vous ne restez pas attachés à moi. Je suis le pied de vigne, vous êtes les branches. Si quelqu’un reste attaché à moi comme je suis attaché à lui, il donne beaucoup de fruit. En effet, sans moi, vous ne pouvez rien faire. » (Jean 15.4-5)
La force d’aimer, Jésus nous la communique à travers l’Esprit divin qu’il veut implanter dans notre cœur. Cet Esprit est comme la sève que le pied de vigne communique à ses branches – les sarments. Cet Esprit, c’est le cadeau de bienvenue dans la vie avec Dieu, qui est offert à tous ceux qui placent leur confiance en Lui (Romains 5.5 ; 8.23).
C’est ce que dit Jésus lui-même :
« Comme le Père m’a aimé, moi aussi, je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme j’ai gardé les commandements de mon Père et que je demeure dans son amour. Je vous ai parlé ainsi, afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète. Voici mon commandement : Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » (Jean 15.9-12)
Et cet amour produit une joie incomparable, que seule la voie du décentrement de soi peut offrir. C’est ce qu’affirme le penseur chrétien Henri Nouwen dans son ouvrage “Signes de vie” :
Pour Jésus, la joie signifie plus que cela – notre idée toute humaine de la joie – [8]. Il s’agit de sa propre joie, celle qui découle de l’amour qu’il partage avec son Père céleste et qui conduit à la plénitude. Jésus a dit : “Demeurez dans mon amour pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite”. Le mot extase nous aide à mieux comprendre la joie que Jésus offre… Extase vient du grec ekstasis, à son tour dérivé de “ek”, c’est-à-dire hors de, et “stasis”, en état d’arrêt. Être “extasié” signifie littéralement être hors d’une position statique. Alors ceux et celles qui vivent dans l’extase sont toujours en mouvement pour échapper à des situations rigides, et explorer des dimensions du réel à la fois nouvelles et inédites. C’est en cela que nous trouvons l’essence même de la joie. La joie est toujours nouvelle. Alors qu’on peut ressentir une vieille douleur, une ancienne souffrance, une peine oubliée, il ne peut y avoir de vieille joie. Une vieille joie ne serait pas une joie. La joie est toujours en lien avec le mouvement, la nouveauté, la renaissance, le changement – bref, avec la vie. [9]
Et toi, Es-tu connu de tes autres frères et sœurs en humanité comme une personne qui fait le bien ? Te contentes-tu de seulement tolérer ceux qui pensent différemment de toi, ou te sens-tu mis à défi, challengé par cette parole de Jésus, qui résume ainsi tout le message délivré par la Loi de Moïse et les prophètes qui l’ont précédé : « Tu aimeras ton Dieu… et ton prochain comme toi-même » ? Rentrer dans la réalité de cet amour « ek-statique » [10], de cet amour en mouvement, c’est goûter à la joie parfaite de Dieu. Veux-tu de cette joie ?
Aurélien Bloch. 2022
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Notes Bibliographiques
- https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A8gle_d’or
- Pittacus, Fragm. 10.3.
- Diogenes Laërtius, The Lives and Opinions of Eminent Philosophers, l.36.
- Extrait des paroles de la chanson « C’est ma vie », album D’origine, de Princess Erika, 1995.
- Stuart Mill John, Essai sur la Liberté, 1859 : « La liberté de l’individu doit être ainsi bornée : il ne doit pas se rendre nuisible aux autres ».
https://www.laculturegenerale.com/la-liberte-des-uns-sarrete-la-ou-commence-celle-des-autres/
- Cf. citation apocryphe de Voltaire : https://www.projet-voltaire.fr/culture-generale/voltaire-citation-apocryphe-je-ne-suis-pas-d-accord-avec-vous/
- « Le sage n’a pas d’intérêt propre mais prend les intérêts de son peuple comme les siens. Il est bon avec le bon ; il est également bon avec le méchant, car la vertu est bonne. Il est croyant avec le croyant ; il est aussi croyant avec l’incroyant, car la vertu est croyante. » – Dao de jing (environ Années 600 av. J.-C.), Chapitre 49.
- NDR : Note de l’auteur de l’article.
- Nouwen Henri, Signes de vie : Intimité, fécondité, extase dans une perspective chrétienne, p. 91-92, Canada – Montréal, Bellarmin, 1997.
- IBID
Une réflexion sur « Jésus et la règle d’or »