Depuis 1977, le 8 mars[1] est la journée internationale des droits de la femme. L’ONU a reconnu à l’époque l’importance de promouvoir les droits de la plus grande partie du genre humain en lui attribuant une journée. Des droits qui étaient très en retard sur ceux des hommes. Et si le monde a bien changé depuis 1977, des inégalités flagrantes subsistent encore. Voilà pourquoi, plus de quarante ans après, cette journée existe toujours.
Il y a bien des raisons pour lesquelles les femmes ont toujours eu du mal à être considérées, en Occident, comme l’égale des hommes. Une des raisons, serait celle que l’on se propose d’examiner ici : la misogynie du christianisme, religion qui a dominée le monde occidental pendant des siècles. Car la Bible est misogyne, nous dit-on !
« Mais non ! » répondent de l’autre certaines théologiennes féministes[2] : au contraire, la Bible porterait en elle toute la possibilité du féminisme !
La Bible qu’est-ce que c’est ?
La Bible est un recueil de 66 livres : 39 forment l’Ancien Testament, la partie de la Bible qu’ont en commun juifs et chrétiens, et 27 le Nouveau Testament, spécificité chrétienne.
Une large partie de ces écrits sont des narrations, dans lesquelles nous est racontée la vie de personnes et l’évolution de leur relation à Dieu. Certaines de ces personnes telles qu’elles sont décrites ont un comportement qualifiable de misogyne. D’autres au contraire, pourraient être décrits comme féministes (selon les standards de l’époque en tout cas !).
Mais ces personnages ne reflètent qu’eux-mêmes, la Bible mentionne toutes sortes de gens. Aussi la question est la suivante : qu’en est-il du message de la Bible ? Qu’en est-il du Dieu de la Bible ? La Bible délivre-t-elle un message féministe ou misogyne ?
Le féminisme et la misogynie, qu’est-ce que c’est ?
La misogynie est le mépris et l’hostilité envers les femmes. Le féminisme tel qu’on le définit positivement est la volonté d’égalité politique, économique, culturelle, personnelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes[3]. Les deux définitions ne sont donc pas exactement parallèles et elles permettent, a priori, que l’on soit ni l’un ni l’autre ! Cependant, depuis les années 90, certains définissent définit aussi la misogynie comme le point de vue de celui qui se refuse à admettre l’égalité entre les hommes et les femmes[4]. Selon cette définition il n’y a pas de troisième voie : soit on est misogyne, soit on est féministe !
Alors la Bible est-elle féministe ou misogyne ?
La réponse attendue et évidente au regard de l’histoire du christianisme serait que la Bible semble être misogyne.
Dans le récit de la création du monde que l’on trouve dans l’Ancien Testament, c’est la femme qui désobéit à Dieu la première et qui propose à l’homme de désobéir avec elle. Dans la théologie médiévale, on en souvent a déduit que la femme était naïve, faible, crédule et tentatrice. Elle est celle qui tire l’homme vers le bas, l’outil privilégié du diable parce que moins « divine », davantage attachée aux choses de la terre qu’aux choses spirituelles.
On a aussi plaidé dans l’historie du christianisme que la femme était la deuxième, l’assistante, l’inférieure. Cela à partir du récit de la Création (la femme est créée après l’homme) et de certains textes du Nouveau Testament écrits par Paul, un des responsables de la première Eglise chrétienne, où il semble interdire aux femmes certaines activités et où il qualifie l’homme de « chef ».
Cependant, à la lecture des textes bibliques, se dégage un paysage bien plus riche et complexe que ce qu’en ont dit – et disent encore parfois – certains commentateurs.
Je vous propose d’aborder brièvement les principales questions polémiques avant de vous donner une réponse à la question.
Polémique n°1 : La femme : 2ème après l’homme
Quand on lit le récit de la Création raconté dans la Bible (Genèse 1.26 à 2.24), nous découvrons que les femmes, comme les hommes, sont images de Dieu et comme les hommes, sont responsables de la gestion de la terre.
La femme est créée à partir du côté de l’homme pour montrer qu’ils sont bien de la même essence[5]. Quand l’homme est sans la femme, Dieu estime que ce n’est pas bon. Quand la femme est là, c’est très bon. Enfin, la femme est présentée comme le vis-à-vis de l’homme et son aide.
La Création décalée de la femme est une originalité biblique comparée aux mythes de création de l’époque. Le seul récit antique où une femme est créée en second est le mythe grec de Pandore où la femme est donnée aux hommes comme punition.
Mais dans le récit biblique, l’intention est toute autre : la création de la femme qui n’intervient qu’après que l’homme ait cherché un vis-à-vis parmi les animaux et qu’il n’en ait pas trouvé, met en valeur l’arrivée de la femme. Un suspense est créé ; et dans la narration, la création de la femme est un soulagement et un cadeau. Sans elle, le monde n’est pas « bon ». En aucun cas cette création décalée ne fait de la femme une inférieure. Sinon quelles conclusions tirer du fait qu’une femme soit née de l’homme et que tous les hommes par la suite sont nés d’une femme ?
Au cours de l’Histoire, certains commentateurs se sont aussi beaucoup focalisés sur le mot aide pour montrer que la femme est inférieure. On remarquera au passage que dans la vie courante, celui qui aide n’est pas « inférieur ». L’aidé étant dépendant de l’aidant, on pourrait tout aussi bien dire que celui qui aide est « supérieur ».
Pour preuve qu’il n’y a aucune notion d’infériorité ni même de second rang dans le mot « aide » est qu’il est même très souvent utilisé dans la Bible pour désigner Dieu[6]. L’idée n’est donc pas que la femme est une assistante mais qu’elle est un secours pour l’homme, pour sa vie et pour sa relation avec Dieu. Car l’homme a besoin de la femme, comme la femme a besoin de l’homme, son vis-à-vis.
Polémique n°2 : La femme : Celle par qui le Mal est entré dans le monde
Dans la suite du récit (Genèse 3), la femme se laisse convaincre par le Mal de désobéir à Dieu et propose à son compagnon de l’accompagner dans sa désobéissance. Le fait que le Mal, incarné par le serpent, s’attaque d’abord à la femme serait la preuve que la femme est plus faible, crédule et facilement manipulable.
Mais on peut aussi penser que si le mal s’adresse à la femme – et non pas à l’homme – c’est parce qu’elle n’a pas directement reçu l’ordre de ne pas manger du fruit défendu, et il est donc plus facile de la tromper. Il est encore possible d’imaginer d’autres raisons…
Mais la vérité est que le texte n’en dit rien. Et dans la narration, l’important n’est pas de savoir qui a désobéi en premier[7]. Le point focal du texte est de montrer comment l’humanité – féminine et masculine – a sorti Dieu de sa vie, se mettant dans une situation désastreuse.
Toute la Bible va alors raconter comment Dieu recolle les morceaux pour les hommes et pour les femmes.
Et très clairement, le texte biblique ne considère pas la femme comme davantage coupable que l’homme. Les deux paient les conséquences de leur désobéissance de façons symétriques.
On peut même remarquer que les noms qui leurs sont donnés sont même particulièrement valorisants pour la première femme.En effet, l’homme est nommé Adam (terre), rappelant ainsi que les humains retourneront à terre ; la femme est appelée Eve (Vie) pour rappeler que l’humanité continuera d’exister malgré la mort.
C’est pourquoi, si on regarde en détail les débuts de la Genèse, il apparaît clairement que la femme n’est pas défavorisée par rapport à l’homme. Soulignons surtout que jamais le texte biblique ne met l’homme et la femme en concurrence mais au contraire il présente une égalité naturelle, une position de vis-à-vis, l’un avec l’autre, l’un en face de l’autre. Ensemble donc.
Mais après la désobéissance, intervient la rupture avec Dieu. La paix et l’harmonie qui qualifiaient les relations entre l’homme et la femme sont remplacés par le conflit, la concurrence et la domination.
Polémique n°3 : Paul, ce misogyne
Paul, c’est celui qui a écrit 13 des 27 livres du Nouveau Testament. Et c’est celui qui a écrit « que la femme se taise dans l’église » et « l’homme est la tête/le chef de la femme », ce qui lui vaut la première place dans l’anthologie de la misogynie fait par le magazine Femme Actuelle en 2008[8].
Une place sur le podium bien mal méritée selon moi. Là encore, Paul est un grand incompris ! Il serait impossible d’étudier tous les textes polémiques ici, mais voici néanmoins quelques pistes de réflexions :
D’une part, on a eu tendance dans l’histoire à mettre de côté certaines de ses affirmations qui témoignent d’une véritable intention de mettre sur le même plan les hommes et les femmes. Pour leur époque, ces affirmations pourraient être qualifiées de féministes. Deux exemples :
Voici ce qu’il écrit à une communauté de chrétiens : « Il n’y a plus ni Juif ni non-Juif, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous êtes tous un en Jésus-Christ. » [9] Cette affirmation est incroyable dans une société qui était très marquée par les hiérarchies, entre esclaves et hommes libres, hommes et femmes, etc. Il y a dans cette phrase un potentiel libérateur immense pour les femmes à l’époque, surtout celles de cultures juives et grecques.
A une autre communauté chrétienne qui lui avait posé des questions sur la conjugalité et la sexualité dans le mariage, il écrit[10] : « Car le corps de la femme ne lui appartient plus, il est à son mari, De même, le corps du mari ne lui appartient plus, il est à sa femme ». Autant la première partie de la phrase est classique, autant la deuxième est révolutionnaire : l’idée que la femme possède le corps de son homme ? Des siècles plus tard, on en sera encore très loin en Occident.
Et enfin, Paul avait dans son équipe de nombreuses femmes qu’il estime, recommande et complimente pour leur compréhension de l’Evangile et leur service[11].
Alors que faire des textes[12] qui sembleraient impliquer une infériorité de la femme par rapport à l’homme ?
Remarquons que dans chaque cas, Paul répondait par ces lettres à des situations spécifiques, mais on connait peu de choses sur ces situations – le reste on tente de le déduire, mais ce n’est pas toujours heureux. Quand il demande dans une de ses lettres qu’on enseigne aux femmes à se taire dans l’assemblée : est-ce à toutes les femmes ? A des femmes spécifiques ou dans un contexte spécifique ? Pour faire cesser les bavardages ? Et quand il demande aux femmes de ne pas enseigner, est-ce parce que certaines femmes de cette communauté enseignaient des erreurs ? Ou parce qu’elles n’étaient pas instruites ? D’ailleurs de quoi parle-t-il exactement quand il parle d’enseignement ?
De plus, ces textes comportent aussi des mots difficiles à traduire. Le texte sur « l’homme est la tête de la femme » est un texte complexe qui a été interprété de diverses manières, d’autant qu’il affirme aussi que Dieu est la tête de Jésus, ce qui complique encore les données. Et il me semble plus sage de reconnaître qu’en réalité, dans plusieurs de ces passages, il n’est pas facile de déterminer concrètement ce que Paul a voulu dire.
Finalement on peut choisir de lire ces textes avec comme clef de lecture le « il n’y a plus ni hommes ni femmes » et l’idée d’une égalité intrinsèque et complète, bien qu’elle puisse se vivre dans des rôles différenciés ; ou de les lire avec comme clef de lecture l’idée de la femme comme seconde (ce qu’il faut chercher, à mon sens, hors du texte biblique).
Pour finir, il est bon de dire quelques mots sur Jésus. Parce que pour juger le Dieu de la Bible, il faut regarder à Jésus.
Alors qu’homme et femme dans la religion juive évoluaient généralement dans des cercles séparés, Jésus, lui, se ballade avec des femmes et des hommes, logeant chez les uns, chez les unes, leur faisant des compliments, les réprimandant, leur donnant des choses à faire comme aux hommes.
Il y a beaucoup de transgression à cet égard dans les évangiles : lorsque Jésus entre en dialogue avec des femmes qu’il n’est pas censé fréquenter, il y a souvent des contacts physiques, elles le touchent, le parfument… sans jamais que le texte sous entende un jeu de séduction.
Et surtout, Jésus se propose de réconcilier les hommes et les femmes avec Dieu de la même manière parce qu’hommes et femmes, pareillement, sont précieux aux yeux de Dieu, lui qui a voulu créé et aimé ces deux moitiés de l’humanité.
Alors la Bible est-elle misogyne ou féministe ?
Au vu de ces arguments, le message biblique n’est clairement pas misogyne. Mais est-il pour autant féministe ? La réponse à donner est sans doute plus complexe.
Dans notre société actuelle, où les droits des femmes ont tout de même quelque peu progressé, on juge que la position de la Bible n’est pas vraiment révolutionnaire mais que ce serait juste le minimum. Et selon moi, on a raison d’exiger d’avantage.
Mais n’oublions pas que depuis des milliers d’années la Bible affirme l’égale dignité aux yeux de Dieu de l’homme et de la femme, tandis que les écrits du Nouveau Testament enseignent des vérités libératrices pour les femmes, non pas d’une façon militante, mais d’une façon naturelle : Dieu est venu sauver les hommes et les femmes qui étaient perdus. Aussi tout ce qui est vrai pour l’homme est aussi vrai pour la femme, et vice versa.
Homme et femme ont été faits pour être en relation avec Dieu, cette relation a été brisée et tous se voient offrir gratuitement cette relation par l’intervention de Jésus. Cette restauration ne concerne pas seulement le plan vertical, mais aussi le plan horizontal. Dans le plan de Dieu, homme et femme ne sont pas faits pour se déchirer et se battre pour obtenir la première place afin de dominer l’autre, mais au contraire, Dieu les a faits pour qu’ils soient en paix, côte à côte, dans la présence réconfortante et aimante de Dieu.
Marion Poujol, Mars 2019
Si vous voulez aller plus loin, je vous encourage vivement à vous procurer l’excellent livre de Ann Brown, « Mesdames, acceptez nos excuses », les représentations chrétiennes de la femme, La clairière, Quebec, 1997[13].
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[1] Cette date a été choisie à cause du 8 mars 1917 où les femmes ont eu le droit de vote en Russie.
[2] La théologie féministe est un mouvement qui a pris beaucoup d’ampleur au XXème siècle. Vous pouvez avoir un échantillon de ses idées dans « Une bible des femmes » publiée en 2018 chez Labor et Fides.
[3] Ce sont les définitions du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales du CNRS.
[4] Selon les mots de Christian Godin dans son « Dictionnaire de Philosophie », Fayard, 2004.
[5] Créé à partir de l’homme, de sa côte, de son côté (le même mot en hébreux), il est aussi possible que ce soit une référence au nom de la déesse sumérienne Ninti « dame de la côte » ou « dame qui fait vivre » en annonce du nom que prendra la femme plus tard (Eve = Vie)
[6] Souvent traduit dans nos Bibles par « secours ». Psaumes 30.11/54.6/70.6
[7] Paul va utiliser cela comme argument dans un certain contexte mais cela ne veut pas dire qu’il pensait que c’était l’idée principale du texte.
[8] www.femmeactuelle.fr/amour/couple/anthologie-de-la-misogynie
[9] Galates 3.28
[10] 1 Corinthiens 7.4
[11] Par exemple : Romains 16.1-16.
[12] 1 Corinthiens 11.2-16 (chef de la femme) ; 1 Corinthiens 14.32-34 (la femme se taise); 1 Timothée 2.11-15 (le femme ne peut pas enseigner)
[13] https://www.xl6.com/articles/9782921840149-mesdames-acceptez-nos-excuses-representations-chretiennes-de-la-femme