Peut-être cela semble-t-il être une drôle de question, mais j’explique tout de suite d’où elle vient. Les chrétiens croient qu’ils passeront l’éternité dans un lieu où tout mal et toute souffrance auront disparu. Mais cela implique qu’eux-même ne feront plus de mal, sans quoi la perfection de l’éternité serait brisée. On peut alors se demander : si la possibilité même du mal est exclue, ne seront-ils pas privés de liberté ?
La question se pose particulièrement en lien avec certaines réponses à la question de l’origine du mal. Une des réponses courantes dit que les premiers hommes avaient la possibilité de faire le mal afin qu’il leur reste une liberté ; afin qu’ils ne soient pas des automates contrôlés par la volonté de Dieu. Mais si on suit cette logique jusqu’au bout, les humains qui participeront à l’éternité parfaite que la Bible annonce[1. Voir par exemple Apocalypse, chapitre 21, versets 1 à 4.] seraient justement des automates privés de liberté, puisque le mal leur serait impossible. La question n’est donc pas absurde, et y répondre permettra de clarifier quelques idées.
Liberté et identité
Paradoxalement, j’aimerais commencer la réponse en passant par une autre question du même genre : «Dieu peut-il faire le mal ? Si oui, est-il bon ? Si non, est-il tout puissant ?». Dans cette question, on joue la bonté de Dieu contre sa puissance. Si Dieu peut mal agir, on doute de sa bonté, et s’il ne le peut pas, on doute de sa puissance ou de sa liberté. Mais en fait, quand on pose cette alternative, on emploie deux sens différents de «pouvoir». Il y a la possibilité technique : être en mesure de faire une action, avoir une possibilité de choix. Et d’autre part, il y a la possibilité morale : ce que Dieu est susceptible de faire en fonction de qui il est[1. J’ai déjà fait allusion à cette nuance dans Dieu peut-il créer une pierre qu’il ne puisse pas soulever ?.].
Prenons un exemple pratique et de bon goût. J’ai la possibilité de manger mes excréments ; pratiquement cela ne pose aucune difficulté, et ma liberté de le faire n’est pas entravée. Pourtant, je peux dire avec une certaine confiance que je ne le ferai jamais — ou plutôt, il faudrait m’y forcer, il faudrait que ma liberté soit limitée pour que je le fasse. Cela nous met sur la voie : la liberté ne signifie pas que toutes les options sont également probables, mais elle implique que je ferai ce que je voudrai. Et je ne voudrai pas n’importe quoi, je voudrai des choses qui s’accorde avec qui je suis.
De la même manière, Dieu a totalement la possibilité pratique de mal agir. Mais parce qu’il est parfaitement libre, il agira en accord avec sa volonté. Et sa volonté ne peut pas être de faire le mal, parce qu’il est bon ; il se trahirait en agissant mal.
Au paradis
La question de la liberté dans l’éternité se comprend alors de la même manière. Les humains qui participeront à l’éternité parfaite voulue par Dieu auront été transformés, de telle sorte que leur identité profonde, leur nature sera entièrement bonne. Dès lors, ils pourront être parfaitement libres pour autant avoir plus envie de mal agir que moi de manger mes excréments. Et ils seront parfaitement bons, sans que cela demande d’exercer la moindre contrainte sur leur volonté. Cette transformation qui mène à des humains moralement parfaits ne peut être faite que par Dieu, et n’est pas à notre portée. Cependant, elle doit aussi impliquer le consentement de notre volonté, sans quoi elle ne serait qu’une contrainte à grande échelle[1. Je développe cette idée et ses conséquences dans l’article Pourquoi les chrétiens ne sont ils pas meilleurs?]. C’est pour cela que devenir chrétien implique un choix de renoncement au mal, et c’est pour cela que ceux qui ne désirent pas cette transformation ne pourront pas participer à l’éternité bienheureuse[1. Voir notre article Pourquoi le Dieu de Jésus-Christ enverrait-il quelqu’un en enfer?].
Au jardin d’Eden
La question qui se pose encore est de savoir en quoi la situation des premiers hommes qui se sont détournés de Dieu était différente de celle des hommes réconciliés avec Dieu dans l’éternité. Les premiers hommes ont été créé bons[1. Genèse, chapitre 1, versets 26 à 31.], et rien n’indique qu’ils aient été contraints de mal agir — s’ils y avaient été contraints, leur rébellion n’aurait pas la même valeur morale. Ma compréhension de tout cela est que les premiers humains avaient une nature bonne, mais qu’ils n’avaient pas encore décidé de qui ils seraient. Les premiers humains connaissaient Dieu et ils n’avaient pas en eux de désir naturel de faire le mal. Cependant, ils n’avaient pas encore choisi entre la fidélité à Dieu et une autodétermination rebelle. Ils avaient en eu une capacité de choix, sans laquelle ils ne pouvaient être des vis-à-vis relationnels pour Dieu. Ils étaient aussi attachés à Dieu. Ils ont eu à choisir lequel de ces principes faire primer, et ils ont fait passer l’autodétermination en premier, avec des conséquences catastrophiques.
Quelle liberté ?
On voit avec cet exemple qu’il faut prendre garde à ce que la liberté implique. On s’imagine parfois que la liberté signifie que tous les choix, tous les actes sont également possibles. Mais cela ferait de tout être libre une entité chaotique et aléatoire. La liberté s’exerce en cohérence avec l’identité de la personne qui l’exerce[1. Je dois beaucoup de ces réflexions sur la liberté à l’article Daniel Saglietto, L’homme a-t-il un libre arbitre ?, La Revue Réformée, 261 (2012).]. Le mal sera supprimé dans l’éternité, non par la suppression de la liberté, mais par la réparation totale de l’identité humaine. D’une certaine manière, une vision de la liberté qui exige que le mal puisse encore se produire est encore une vision tordue de la liberté, une vision qui trouve le mal bon, une vision qui justifie le mal au nom de la liberté.
La vraie liberté, celle que Jésus offre, c’est d’agir en accord avec ce que l’on veut, de vouloir en accord avec ce que l’on est, et d’être en accord avec ce que l’on doit être. Cette liberté se découvre petit à petit dans cette vie, et s’accomplira dans le monde à venir.
Quelle liberté choisirez-vous ?
Jean-René Moret,
Décembre 2016
Il arrive souvent que des Chretiens, lorsqu ils sont confrontes a leur mort prochaine, aient comme l impression de quitter la fete avant qu elle ne soit terminee, comme s ils devaient rentrer chez eux plus tot. Ils sont decus et pensent a toutes les personnes et toutes les choses qui pourraient leur manquer lorsqu ils partiront. Mais pour les enfants de Dieu, la vraie fete aura lieu plus tard : pensez au pere qui se rejouit et organise une fete pour son fils prodigue revenu a la maison (Luc 15). Dans notre veritable demeure, ou nous n avons pas encore sejourne, une celebration a deja lieu ! Et c est precisement la que nous irons a notre mort. De la meme maniere que d autres nous accueilleront a cette fete, un jour nous aussi nous accueillerons ceux qui arriveront apres nous au Paradis.